Or donc je m'appelle Julien et j'ai 27 ans. J'ai quelques "dons" en matière de "création artistique" : je me débrouille plutôt bien avec pas mal de matériaux : gouaches, aquarelles, pastels, fusains, mines, acrylique, huile, sur papier ou sur toile et puis aussi je me débrouille en sculpture (sur terre, parce que le bois demande trop de patience ;-))...
Un don, ce n'est pas un terme qui me plait. Aucune fée ne s'est penchée sur mon berceau avec une baguette pour me rendre capable de dessiner ou de sculpter. Pas de formule magique, je suis né comme les autres, avec une infinité de possibilités, de chemins de vie à suivre, ni plus ni moins que les autres.
Ce sont les premiers évènements de ma vie qui m'ont menés dans cette voie : j'ai commencé à dessiner sur les genoux de mon père, je n'avais même pas un an. Il prenait ma main minuscule dans la sienne, gigantesque. Il mettait de la musique, glissait un crayon entre nos doigts et guidait nos traits. Il parait que je pouvais passer de longs moments ainsi, à dessiner des poissons, des feuilles entières recouvertes de poissons... J'ai donc commencé à dessiner que je ne savais pas encore parler.
Il faut dire que mon père se débrouille pas mal non plus. Dans sa jeunesse, il a fait plusieurs toiles, dont un loup magnifique que j'ai pu récupérer, il tenait apparemment ses capacités de son grand frère, mon oncle. Ce n'est pas héréditaire, ce n'est pas non plus dans les gènes, mais le goût de la création est contagieux : il se transmet un peu comme une maladie dans les premières années de la vie. Ca j'en suis persuadé.
Donc les gribouillages ont été mon premier mode de communication avec mon père, ma première activité de groupe. Et j'ai reproduit ce schéma avec les autres adultes de mon entourage : quand j'étais tout enfant, pour me captiver il fallait dessiner ce que je demandais, faire des bonhommes en pâte à modeler, ou me glisser un pinceau dans les doigts. Peu de jeux avec d'autres enfants, j'ai été fils unique durant les six premières années de ma vie, et je n'allais jamais chez la nourrice. Donc très vite, lorsque j'étais seul, j'ai commencé à dessiner, pour tuer l'ennui : il n'y avait pas encore de télé chez moi à l'époque ;-)
Parallèlement, les sorties familiales étaient très souvent tournées vers les ballades dans la nature et l'observation des animaux. Même dans mes plus lointains souvenirs, je revois mon père ou mon oncle paternel se jeter dans les fourrés pour attraper un lézard ou une couleuvre, ou encore s'énerver en même temps que moi à me montrer un oiseau que je n'arrivais pas à voir. Et puis me dire de me taire, me reprocher de faire du bruit en marchant : « Lève les pieds quand tu marches », « Fais moins de bruit, on ne voit rien avec toi ».Ces sorties ont développé mon sens de l'observation, je dirais même de la contemplation. Et puis j'y ai appris, comme lors de nos nombreuses parties de pêche, à apprivoiser le silence.
J'étais donc un enfant contemplatif et solitaire. Le silence et l'ennui – contrairement à l'obscurité - ne me faisaient pas peur : je les contrais en dessinant ce que j'avais patiemment observé pendant des heures, c'était ma parade, mon évasion.
Il y a aussi eu l'école. Et les autres. La confrontation aux autres. Elle a été difficile pendant toute l'école primaire et les premières années de collège : et oui, mon nom de famille c'est Salaud. Les enfants sont cruels, je l'ai appris dès mes premiers jours d'école, avant de savoir écrire. Cette marginalisation m'a un peu plus poussé dans le monde imaginaire que je m'étais créé par le dessin, j'y entrais par l'intermédiaire de mes crayons. J'y étais le roi, j'y avais tous mes personnages, j'y écrivais l'histoire à ma guise. Voilà, comment ça a commencé. Et ça ne s'est jamais réellement arrêté…
Alors non, la capacité de créer n'est pas un don. C'est du travail. Je dessine depuis longtemps, j'ai toujours dessiné, donc forcement, maintenant, je commence à être bon.
Donc non, je n'ai pas de don, j'ai juste eu une histoire propice. Un entourage et des circonstances.