Un regard et un bilan sur mon évolution.
En 2005 pour entrer à l'Université de Saint Denis j'ai dû faire un bilan sur mon propre travail. Le voici donc !
Soyez patients, c'est un texte à rallonge... Et très scolaire, mais j'ai la flemme de le retoucher. Bonne lecture !
J’ai été initié tôt au dessin et au modelage par mon entourage proche. L’activité de création est assez vite devenue mon passe-temps favoris et au final, je peux dire que de ma petite enfance à aujourd’hui je ne me suis jamais vraiment arrêté.
Ma créativité m’a donc suivi durant toute ma croissance, se développant dans une voie parallèle à la mienne. Elle est à mon image : multiple, vivante et adaptable, portant en elle ses propres contradictions. C’est le reflet, métaphorique et un peu romancé de mes expériences et de mon évolution.
Face à cet aspect évolutif, il me parait assez difficile de présenter mon travail comme une entité aboutie. D’abord parce que je suis un jeune artiste et qu’en autodidacte j’ai encore beaucoup de lacunes, ensuite parce que -je l’espère- cette évolution ne cessera jamais.
Je vais donc orienter cette présentation plutôt sur la chronologie des évènements qui ont mené à l’état actuel de mon art : la professionnalisation qui a généré ma problématique artistique et influencé mon processus de réalisation, ainsi que le métissage culturel qui a forgé mes identités théorique et artistique.
Ma professionnalisation et la naissance de ma problématique artistique.
Au début, le dessin ou le modelage étaient pour moi des activités ludiques. Ils me servaient à me couper d’un quotidien souvent ennuyeux et à m’enfuir dans un monde imaginaire, comme pour tous les enfants j'imagine.
Puis à partir de l’adolescence, cette créativité a muté. C’est devenu une habitude d’abord, puis un besoin, et enfin une nécessité. Mon art est alors devenu intime et personnel, comme un prolongement de ma personne et je cachais mes travaux pour que personne ne les voie.
Mes travaux sont alors devenues des annexes à ma mémoire fixant des émotions fortes ressenties lors de voyages, d’exils, de rencontres, à coté de chez moi ou à l’autre bout du monde. Ensemble, elles étaient un grimoire qui me permettait de retrouver un état.
Ensuite, par le hasard des rencontres j’ai commencé à travailler comme illustrateur pour des guides naturalistes alors que je m’étais exilé en Guyane. Le premier contrat fut difficile, car je gérais parallèlement un travail salarié comme chargé de mission pour une association de protection de l’environnement.
Cependant, ce premier contrat m’a apporté beaucoup. D’abord parce que grâce à l’énergie que j’ai dépensée à mener de front ces deux emplois, mes parents (qui n'étaient pas complètement favorable à cette activité) ont compris que j’étais suffisamment motivé et capable pour réussir. Depuis ce contrat, ma famille m’encourage à continuer dans cette voie.
Mon travail en tant que professionnel a aussi modifié mon rapport à mes créations, que je ne considère plus comme des prolongements de moi, mais plutôt comme des concrétisations d’une évolution dont j’ai pris conscience.
De cette prise de conscience est née ma première problématique artistique : comment diriger ce développement ? Quelle est la meilleure façon de l’optimiser ?
Mon souhait aujourd’hui est de sortir de l’isolement dans lequel je me suis très longtemps caché, afin d’avoir une idée objective de mon travail artistique en le confrontant aux autres, que ce soit par des expositions, des rencontres avec des artistes et la découverte de leurs œuvres, ou encore par la reprise de mes études dans le domaine des Arts Plastiques.
Parce que j’ai envie de sortir du système autodidacte dans lequel j’évolue depuis le début, parfois par obligation, parfois par habitude : je considère qu’il freine mon inertie.
Ce processus d’ouverture aux autres est déjà entamé grâce à ma professionnalisation, notamment au niveau de l’acte de création et sa procédure.
Processus de réalisations : de l’intuition à la réflexion.
Avant ma professionnalisation, mes œuvres étaient donc personnelles. Elles répondaient alors à un besoin presque animal d’exulter : parfois, j’avais envie de modeler l’argile juste pour soulager des tensions physiques au niveau des doigts, comme on mange pour calmer son estomac. Dans ce cas, l’objectif du travail de création n’était pas la finalisation d’une oeuvre, mais plutôt le soulagement d’une sensation d’oppression qu’il me procurait.
Du coup il n’y avait aucune préméditation : je me mettais au travail sur un coup de tête, la création était impulsive ou instinctive, et je n’avais aucune idée lorsque je débutais une oeuvre de ce qu’elle serait au final. Je n’achevais pratiquement jamais mes travaux, m’arrêtant une fois le "soulagement" atteint.
Cette création instinctive répondait à un besoin de liberté équilibrant une certaines quantité de contraintes d'ordres divers. Elle n’était régie par aucune contrainte, d’où sa dimension spontanée. C'était mon espace personnel de défoulement.
J’ai récemment retrouvé ce mode création spontanée lors d’une performance durant laquelle j’ai réalisé une sculpture grandeur nature en quatre heures.
Avec mon premier contrat, j’ai commencé à travailler sur commande et j’ai dû apprendre non seulement à dessiner alors que je n’en avais pas envie, mais aussi à respecter un cahier des charges indépendant de ma sensibilité artistique. Je devais prendre en compte les contraintes imposées par le client, portant sur la nature des œuvres désirées, la matière qui la constituait, ou encore son style graphique.
La première étape fût donc de cerner les exigences de mon client par des entretiens directs. Ensuite, j’ai dû effectuer des recherches bibliographiques et iconographiques afin de cerner le sujet de la commande (dessins naturalistes pour un guide faunistique : Portraits d'oiseaux guyanais aux éditions Ibis Rouge, 2003) et de proposer des ébauches des œuvres finales au client pour validation. Enfin seulement je passais à la réalisation des œuvres proprement dites, non sans avoir passé plusieurs semaines à me familiariser avec l’aquarelle et le style réaliste qui m’étaient imposés. Cette procédure de réalisation était réfléchie et dirigée par toutes ces étapes, ce qui pour moi était une grande nouveauté : au final j’avais appris sous la contrainte, et ça n’avait pas été si désagréable. Mon rapport à la création avait changé.
Depuis ma professionnalisation en 2001, ces deux processus créatifs interagissent : mes recherches personnelles sont moins impulsives et plus abouties, plus pudiques aussi sans doute tout en gardant leur dimension instinctive. J’essaie de développer mon univers et mon identité artistique avec discipline (travail de la matière, ou des perspectives, études d’œuvres et de carrières de grands artistes, etc.…) tout en en préservant l’essence d’origine.
Ces recherches personnelles influencent directement mon travail sur des commandes, que ce soit en illustration, en peinture ou en sculpture, notamment dans le choix de mes contrats, ou encore dans l’insertion d’éléments graphiques, symboliques ou de traitements de l’image issus de mes recherches personnelles.
Le conte Issou Makawen (CRDP Guyane, 2005) est un exemple de l’insinuation de mon travail personnel dans mes commandes : si le style graphique est classique et selon le souhait de l’éditeur, il reflète cependant ma propre philosophie. Cette philosophie a une grande importance dans mon travail, puisqu’elle a généré par exemple tout mon langage symbolique.
Corpus théorique : Une philosophie métissée.
Dès l’enfance j’ai commencé à rejeter mes racines occidentales. Ce rejet était dû à ma "marginalisation précoce", causée par plusieurs de mes singularités. La vision occidentale du monde ne pouvait pas être valable puisque je n’y trouvais pas ma place. Cette vision étant plutôt basée sur la science, j’ai donc passé de nombreuses années de ma vie à remettre l’approche scientifique totalement en question, ce qui m’a permis d’en identifier points forts et faiblesses.
A mon avis, la faiblesse de la recherche scientifique telle qu’elle a été menée par nos contemporains est la tendance à une catégorisation systématique dans des cases uniques, définitives et hermétiques n’interagissant pas les unes avec les autres. En étudiant les grands philosophes comme Descartes, l’histoire de l’Europe depuis l’Antiquité et l’évolution du Christianisme, j’ai construit mon explication à l’origine de cette manie obsessionnelle : ce souci de réduction de l’univers à une somme d’éléments inertes et indépendants cache une quête quasi-mystique de l’immortalité, conséquence de la fission entre le naturel et le surnaturel elle-même conséquente à la crise idéologique qui succéda à la chute du catholicisme.
L’occident se trompe lorsqu’il différencie et sépare au nom de la Science le naturel du surnaturel, l’humanité de la nature, le corps de l’esprit. Ces segmentations sont des vestiges de croyances religieuses qui ne devraient plus exister.
En cela, je ne me sens ni blanc, ni français.
Heureusement, les vrais savants (ceux qui ont réussi à se débarrasser de leurs préjugés archaïques) réduisent petit à petit ces fractures : en allant chercher la vérité au-delà des sens avec sa théorie de la Relativité, Albert Einstein a réouvert aux occidentaux les portes sur le Surnaturel… Dans un futur plus loin que proche, la perception scientifique pourrait permettre à l’Occident de renouer avec le surnaturel, le réintégrer dans son environnement afin d’y trouver sa place.
En Occidental natif, j’ai reçu cette quête idéologique en héritage.
Dès mes premiers voyages en Afrique, j’ai été mis au contact de civilisation au sein desquelles le spirituel et le surnaturel faisaient partie intégrante de la vie quotidienne. C’est lors de ces premières rencontres que j’ai commencé à remplir mon vide spirituel, piochant au hasard les idées qui me séduisaient le plus.
Ce qui m’a plu chez les animistes du Sénégal, c’est cette fusion entre le naturel et le surnaturel. Ce dernier fait partie intégrante du quotidien. Il est partout, symbolisé par les esprits qui habitent sans distinction ni échelle de valeur les éléments, la terre, les arbres les hommes et les animaux. Ces esprits sont célébrés quotidiennement par des rituels permettant de communier avec eux. Ils font aussi l’objet de contes et de légendes à la poésie touchante et à la morale sage. J’ai depuis gardé et cultivé ce rapport fort à une nature qui pour moi a une dimension divine.
Plus tard, avec l’étude par l’éthnologie des systèmes de croyance pygmées ou amérindiens notamment, j’ai pu dégager intuitivement les bases communes à tous ces systèmes de perception du monde. Ces bases sont le socle de ma propre croyance, assises par la suite grâce à mes propres expériences spirituelles, dont la plus traumatisante (et aussi la plus récente) fût ma vie en solitaire dans la forêt vierge de Guyane.
En 2000, j’ai décidé de quitter la France métropolitaine pour partir vivre en Guyane. J’y ai travaillé pendant trois ans en forêt (étude de la faune sauvage) et ai tissé des liens avec les communautés créoles, brésiliennes et amérindiennes.
Ma vie dans la forêt de Guyane, l’observation de la faune et de la flore ainsi que de leurs interactions avec leur environnement m’ont permis de trouver ma place dans l’univers et de m’intégrer dans son déroulement.
Les rencontres avec les cultures locales m’ont aussi permis de comprendre l’intérêt d’un système de croyance basé sur le symbolisme (les religions et leurs mythes) : ils rendent le surnaturel perceptible par les sens premiers.
Ainsi ma philosophie est métissée, à la confluence de la théorie de la relativité et de la philosophie des peuples nomades. Cette conception du monde a une incidence directe sur mon art, puisqu’elle a façonné mon rapport à la création et généré mon univers imaginaire, source de mon inspiration.
Corpus artistique : Symbolisme, abstraction et démantèlement de la matière.
Mon expression artistique emprunte beaucoup aux arts ethniques, que ce soient la statuaire d’Afrique noire ou encore les parures du corps chez les amazoniens ou les peintures rupestres des aborigènes : elle a une fonction narrative et célèbre mon rapport au naturel et au surnaturel, ce qui lui confère (je l'espère) une certaine charge émotive. Mon oeuvre, chronologiquement, retrace l’histoire de mon évolution spirituelle. C’est un véritable dictionnaire de mes émotions, de mes états, de mes expériences et de mes légendes intimes.
Cette matérialisation de ma philosophie passe, là encore comme les arts ethniques, par tout un langage symbolique. Par exemple, lorsque dans mes recherches personnelles un personnage a les yeux fermé, cela signifie qu’il est prisonnier de quelque chose. Lorsqu’il a les yeux ouverts, il est libre. J’ai emprunté ce symbole aux bas reliefs sur pierre racontant les victoires des guerriers de l’ancienne cité de Palenque, au Mexique.
Mon univers symbolique est lui aussi métissé. Il prend ses racines en Afrique, Amérique du Sud et Océanie, mais aussi en Europe.
Une des conséquences de mon rejet du monde occidental est ma culture relativement pauvre concernant les courants artistiques occidentaux. Cependant, depuis mon retour en France métropolitaine il y a deux ans, je visite beaucoup de musées et j’ai pu apprécier le travail de différents peintres dont Zao Wou Ki et ses toiles abstraites exposé l’année dernière à la galerie nationale du Jeu de Paume.
L’abstraction me plait parce ce que justement elle est débarrassée de tout élément figuratif : elle ne touche pas son spectateur dans le conscient, mais dans l’inconscient. C’est le mode d’expression artistique le plus intuitif qui soit. L’abstraction s’est depuis insinuée dans mon travail, notamment dans mes peintures sur toile.
J’ai aussi été frappé par le travail de Francis Bacon exposé l’année dernière au musée Maillol, notamment ses papes comme dégoulinant sous la pression d’un espace restreint et confiné. J’y ai senti une grande révolte et une douleur oppressante. En peignant ses toiles violentes, F.Bacon jetait à la face du monde ce qu’il avait fait de lui : un corps déformé par la douleur de l’esprit.
Selon moi peindre soulageait Bacon, l’art était pour lui une thérapie. En cela, je me sens proche de lui, que ce soit dans mon rapport à la créativité et la charge émotive de mes travaux, ou dans le traitement organique des corps, par une mélange entre l’abstraction, le figuratif et le symbolisme.
Ainsi mon travail artistique n’a pas cessé d’évoluer. Si on l’analyse dans sa totalité, on pourra y lire l’histoire de ma vie et de mes expériences.
On comprendra aussi comment je suis arrivé à mon identité artistique actuelle, cumul de processus créatifs, d’influences théoriques et artistiques dont le résultat est un mélange d’abstraction de figuration et de symbolisme, emprunt d’une philosophie métissée et d’un rapport fort au naturel et au surnaturel.
On pourra peut être aussi comprendre la voie dans laquelle je m’engagerai par la suite.
Hier, je travaillais de façon soit intuitive, soit réfléchie. Aujourd’hui, je tente de trouver le juste milieu et parfois j’y arrive, en dirigeant le hasard.
Hier je rejetais l’Occident et vivais comme un sauvage au fond de la forêt, aujourd’hui je suis revenu dans mon pays renouer avec des racines artistiques et culturelles trop longtemps reniées, parce que je dois les prendre en compte si je veux continuer à avancer.
Hier, je créais égoïstement, souvent dans la douleur. Aujourd’hui, j’aimerai que mes œuvres finissent par dégager une atmosphère plus sereine, parce qu’alors cela voudra peut être dire que j’aurai atteint la sagesse.
Enfin, j’espère aussi qu’on y lira mon envie de progresser en discipline et de devenir un artiste valable.
1 De le grand M -
Stealthy Julien, pour ecrire depuis l'autre bout du monde et avoir roule sur les cinq continents, je pense qu'on peut tout a fait etre curieux des autres cultures, vouloir les connaitre en profondeur, ne pas se contenter des sites et musees quand on voyage, sans pour autant rejeter sa propre culture. Personnellement je m'estime tres ouvert sur le monde, mais je me sens tres occidental, ce n'est pas incompatible. L'erreur vient peut-etre des etiquettes que l'on se colle...
2 De Jules -
Grand M : vouloir connaitre les autres cultures est une chose ; les connaitre "en profondeur" en est une autre... De mon point de vue, cela implique -forcement- qu'on mette la sienne de coté.
Sinon, on tombe dans l'éthnocentrisme, mais ça c'est une autre histoire ;-)