Michal ROVNER, Fields.
Michal Rovner est une photographe cinéaste qui a récemment été exposée à la galerie du Jeu de Paume. L’exposition Fields présentait jusqu’au 6 janvier dernier des œuvres vidéo réalisées depuis 1997.
Je dois avouer que j’ai été touché par les travaux de la vidéaste, troublé par les effets optiques qui les composent et impressionné par la technicité et le travail de l’artiste, autant sur les images que sur les supports… Ses installations vidéo sont notamment impressionnantes par les mouvements qui les animent, tantôt imperceptibles tantôt perceptibles.
Nicole Benaïm a d’ailleurs écrit dans son article pour Guysen Israël News : « Toute cette exposition est conçue sur la réflexion autour de « l’entre-deux », le passage d’une image fixe à une image en mouvement. »
J’ai donc décidé pour ce devoir de traiter des œuvres présentées lors de l’exposition Fields afin de mettre en évidence la façon dont le travail de Michal Rovner a pu mener par la technique à cet entre-deux, mais aussi l’impact de ce traitement de l’image sur la valeur symbolique de ses œuvres.
L’Art vidéo selon Rovner : traitement de l’image et intervention du support.
Michal Rovner travaille à partir de séquences vidéo modifiées (que j’appellerai les images animées), servant de motifs aux compositions qu’elle projette au final sur ses installations vidéo.
Les images animés : ce sont des séquences vidéo, comme les silhouettes humaines qui sont utilisées pour une partie importante des œuvres de l’exposition Fields.
Pour obtenir ces silhouettes, la vidéaste a filmé des personnes effectuant différentes actions (marchant seules ou en file indienne, droit ou bien selon des trajectoires complexes, se courbant, sautant sur place, etc.…) sous différents angles (de coté ou de dessus), en plans larges et fixes, certainement de loin de façon ce que l’image, une fois agrandie, ne soit pas trop riche en détails. Ces séquences ont été soigneusement sélectionnées et montées de façon à ce que leur répétition donne l’impression d’un mouvement perpétuel.
Michal Rovner a ensuite modifié différents aspects de l’image. Les arrière-plans des séquences ont disparu, de mêmes que leurs couleurs. Les contrastes de l’image ont été fortement augmentés effaçant encore plus les détails : les personnages sont sortis de leur contexte et démunis de leur identité. L’échelle a enfin été modifiée, puisque les silhouettes ne dépassent pas la dizaine de centimètres de hauteur même sur les œuvres les plus importantes.
The Group, 1999. Ce visuel n’était pas présenté durant l’exposition de la galerie du Jeu de Paume. Cependant, je l’ai choisi parce qu’il a les mêmes caractéristiques que les silhouettes dont je parle, à la différence que pour The Group, le paysage ne semble pas avoir été effacé.
Le résultat de cette première étape du travail de la vidéaste me fait penser aux travaux de la fin du XIXe siècle sur le mouvement, lorsque grâce à la photographie les différents modes de déplacements (bipèdes avec les hommes, quadrupèdes avec les chevaux, le vol chez les oiseaux, etc.) ont pu être décomposés. A la différence qu’en ayant effacé une très grande partie des détails (qui donnaient certainement une dimension photographique et réaliste aux films avant qu’ils aient été ainsi travaillés), elle a transformé ces séquences en « images mobiles », comme des motifs graphiques dessinés à la main mais artificiellement animés des mouvements du vivant… Cette première particularité participe au paradoxe visuel que constituent les travaux de Michal Rovner.
Pour ses postcards, La vidéaste a travaillé de la même façon, mais sur les divers éléments de paysages (cieux et nuages, terres désertiques, pompes à pétrole, etc.…).
La composition des motifs : Ces images animées sont ensuite organisées dans l’espace, modifiées dans leurs couleurs, leurs vitesses de déroulement… Elles sont les constituants de compositions que je séparerai en deux catégories.
Les compositions statiques : les motifs sont projetés fixement à travers l’espace défini par le support de projection, ils ne s’y déplacent pas. Cependant, ces motifs restent animés. Il y a alors un paradoxe troublant entre les mouvements qui animent les motifs et leur immobilité dans la composition de l’oeuvre : les personnages filmés en déplacement semblent par exemple marcher sur place.
Les compositions animées : les motifs sont organisés dans un mouvement global et se déplacent au sein de l’espace défini par le support de projection. Cependant, il n’y a pas forcement de lien entre la façon dont une silhouette se déplace et le déplacement qu’elle effectuera dans l’œuvre, ce qui peut aussi troubler le spectateur : certains personnages marchant droit devant eux peuvent dans ce donner l’impression de reculer.
La composition projetée présente alors deux dimensions : la première est celle qui saute aux yeux : l’image et/ou le mouvement créés par la composition des motifs. La deuxième est celle qui intrigue le spectateur lorsqu’il porte plus d’attention à l’œuvre qu’il regarde : les motifs et leur propre évolution.
Data zone, cultures tables, 2003. Ici, on voit assez correctement l’aspect des silhouettes décrites ci-dessus : les personnages en file indienne qui se tiennent par les épaules ont été filmés du dessus. La file évolue dans l’espace de projection.
A la limite de ces deux catégories se trouvent les postcards : les films de ces œuvres sont la superposition de motifs qui apparaissent et disparaissent très lentement, animés de mouvements tout aussi lents, presque imperceptibles (il faut regarder plusieurs secondes pour percevoir l’évolution de ces tableaux vivants) formant des paysages. Dans ce cas, on se trouve presque à la frontière visuelle entre la mobilité et l’immobilité, et le paysage devient presque réel…
Ainsi, Michal Rovner est une vidéaste qui aime à jouer avec la perception du mouvement, en modulant les valeurs du temps comme de la distance. Il s’agit d’un aspect important de son travail, que l’on peut retrouver chez d’autres artistes contemporains comme Bill Viola : il travaille d’une façon qui me semble être du même procédé avec la perception du mouvement, je pense notamment aux plongeons à rebours et inversés dans Five angels for the millenium). Cependant, le traitement de l’image n’est pas l’unique aspect du travail de Michal Rovner puisque dans ses oeuvres le support de projection a au moins autant d’importance que l’image projetée. Il n’est absolument pas neutre (je fais une généralité, l’exception de Fields étant le film Fields in fire). Le remarquable travail réalisé dans l’installation des différentes œuvres vidéo en est la plus belle preuve.
Lorsqu’on entre dans la salle Data Zone -que je qualifierai de clinique- on ne voit dans un premier temps que des boites de pétri posées sur des tables blanches, lisses et épurées. Lorsqu’on arrive aux différentes Cabinet stones, on ne remarque que de vieilles pierres taillées qui semblent être les reliques d’un temps très lointain, protégées par une cage de verre. The Weel est un puit de pierre grossièrement taillée, surélevé de façon à ce que l’image qu’il contient ne soit vue que par ceux qui ont la curiosité de se pencher.
Les supports de projection sont en effet importants, puisque combinés aux images qu’ils reflètent, ils portent le message symbolique de leur créatrice.
Les œuvres de Fields, la forme au service du fond :
Data zone, cultures tables (2003):
Les œuvres appelées Data zone ne sont pas des projections vidéo. Il s’agit d’images diffusées sur des écrans cathodiques incrustés dans des tables d’expositions. La vitre de ces écrans est constituée par le fond de boîtes de Pétri, structures de verres rondes à bord étroit utilisées en biologie pour la culture cellulaire.
L’image diffusée est une série de files indiennes ou de farandoles constituées de silhouettes filmées du dessus (comme photo ci-dessus), semblables dans leurs formes et dans leur déplacement à des éléments micro cellulaires. L’image ci-dessous présente des œuvres qui de loin représentent très clairement des chromosomes au moment de la mitose (multiplication cellulaire).
Data zone, cultures tables, 2003
Dans cette œuvre, il faut constater que tout est fait pour mettre le spectateur dans la situation d’un scientifique qui regarde d’en haut évoluer des « chromosomes humains » dans une boîte de pétri : prise de vue d’en haut pour les silhouettes, leur agencement, leurs mouvements dans une composition fixe dans l’espace de l’oeuvre, la mise en abîme du spectateur, mais aussi l’objet que constitue l’écran. Le support de diffusion est donc dans l’ensemble des œuvres Data zone important, puisqu’il qu’il appuie l’image diffusée, et lève toute hésitation quand à l’interprétation des œuvres. Ici, la société est présentée comme un organisme vivant dont les hommes seraient le matériel génétique, la mitochondrie et le virus tout à la fois.
Cabinet stones (2004, 2005) :
Ces œuvres-ci sont des projections. Le projecteur est caché dans le haut de la structure de verre et de métal qui contient des pierres taillées à l’aspect très ancien. Les images qui y sont projetées par un jeu de miroirs sont des silhouettes se tenant de profil ou de face, marchent, plient les genoux, etc. Ces silhouettes sont assez floues dans leurs contours, et j’ai même l’impression qu’elles ont été travaillées dans leurs ombres et leurs lumières pour donner l’impression frappante qu’elles ont été gravées dans la roche par un tailleur de pierre il y a plusieurs siècles. Cette impression est aussi amplifiée par le fait que les formes des personnages ont été modifiées selon les reliefs des roches : sur les parties érodées, ils disparaissent, comme si le temps les avait partiellement ou complètement effacés…
Cabinet stones, 2004
Sur les Cabinet stones, les silhouettes humaines sont agencées à espaces réguliers le long de plusieurs lignes parallèles et équidistantes. Lorsque l’on voit les œuvres de loin, on a l’impression qu’il s’agit de hiéroglyphes. Mais en s’approchant des pierres, on constate alors que les lettres de cet alphabet mystérieux bougent doucement. Ce mouvement lent et discret est d’ailleurs assez captivant, puisque selon la distance à laquelle on se trouve de l’œuvre, il va être perceptible ou pas, créant la surprise chez celui qui regarde l’œuvre. De près, les Cabinet stones sont très troublants : la combinaison du support minéral, des motifs humains qui semblent gravés, de leur composition en un alphabet animé de mouvements organiques donne l’impression que les roches sont vivantes.
En regardant ces œuvres, ou bien encore les Tablets, on croit voir les pierres sacrées ou Dieu grava les dix commandements…
Cet aspect spirituel et sacré se dégage aussi d’autres œuvres de Cabinet stone où le support est un livre. Je pense notamment à un cahier ouvert, présentant sur l’une des pages des « personnages hiéroglyphes », et sur l’autre une ronde humaine, images d’un film en contre-plongée au traitement lui aussi assez troublant.
Cette ronde a été modifiée d’une façon assez particulière : l’image est au début nette, et les mouvement bien décomposés. Puis par moments, la définition du mouvement est modifiée,comme si les photographies qui constitue le film avaient été prises avec des temps de pause de plus en plus long. Le résultat est un effet de filé qui créé des zones sombres et claires se mouvant dans l’espace. La ronde humaine devient lentement une abstraction étrange, avant de revenir à une définition de l’image plus réaliste.
Tout comme les pierres font penser aux stèles de l’Ancien Testament, le livre fait penser à une Bible magique qui aurait été écrite par un phénomène magique…
Cabinet stone.
Ainsi, c’est dans la combinaison visuelle que forment les motifs de Michal Rovner, son travail sur leur agencement en compositions projetées ou diffusées sur des supports choisis avec précision qui font la force et l’originalité du travail de l’artiste. Le mélange de la technologie moderne et des objets archaïques créent l’intemporalité. Le traitement des images, dans leurs mobilités et leurs déplacements dans l’espace des œuvres conduit à l’« entre-deux » de Nicole Benaïm, les objets semblant parfois inertes, parfois animés d’un souffle que je qualifierai de divin.
C’est donc grâce à sa technique irréprochable et à un travail minutieux que la vidéaste a réussi à obtenir des œuvres hautement poétiques, plongeant ses spectateurs dans une contemplation empreinte de spiritualité. Ses livres, ses pierres et ses micro-organismes m’ont touché parce qu’ils me sont apparus comme étant les fruits d’un esprit intelligent, neutre et visionnaire. Je n’ai donc pas été étonné de lire que Michal Rovner a étudié la philosophie.
En parlant de ses travaux dans un article de Connaissance des arts en 2004, elle a dit : « Je travaille sur ce qui se passe entre les choses, les forces qui les relient et les déplacent dans un environnement. » Fields nous parle des hommes, de leur dimension sociale, de communauté, mais aussi de spiritualité et de croyance. Les œuvres de Rovner redéfinissent pour celui qui sait déchiffrer ses œuvres la place de l’humain dans son univers.
Michal Rovner, Fields
J'ai été assez impressionné par cette exposition où je suis allé courant novembre. Voici un devoir de présentation des oeuvres exposées à la galerie du Jeu de Paume. Comme j'ai eu "une bonne note", je me permets de le mettre en ligne.