L'IUCN pour la biodiversité en Guyane.

J'ai reçu avant hier une interview de mon ancien patron Benoît de Thoisy (qui me faisait courir partout dans le bois quand je bossais pour Kwata) pour le Bulletin du Bureau Européen de l'UICN (Union mondiale pour la nature). Un question-réponse des plus intéressants, et une ambition européenne pour la biodiversité en Guyane...
Entretien avec Benoît de Thoisy, responsable scientifique de Kwata
Par Jean-Philippe Palasi
Bulletin du Bureau Européen de l'UICN, volume 11, 2006

JPP: Quelle est l'importance écologique de la Guyane française et de cette région du monde et quelles sont les principaux défis pour son environnement ?
BT: La région est couverte par l’un des derniers grands blocs de forêts tropicales au monde, avec une diversité biologique et une richesse culturelle uniques. L'état de préservation des habitats d'eau douce et des habitats forestiers est meilleur que dans la plupart des autres régions tropicales. La plupart des populations végétales et animales ont encore des statuts de conservation satisfaisants. Mais les pressions démographiques, l'évolution des modes de vie et la dégradation des niveaux de vie des communautés défavorisées, font que les menaces sur ces richesses se font de plus pressantes.

JPP: Comment et avec quels partenaires agit l'association Kwata? Arrivez-vous à trouver des ressources adéquates pour vos projets ?
BT: Depuis des années, Kwata travaille avec des partenariats à tous les niveaux, aussi bien publics que privés. Ces partenariats se situent par exemple sur le plan de l’aménagement du territoire, de la gestion des ressources naturelles et de l'éducation à l'environnement. Ils concernent aussi des partenariats logistiques et des projets techniques et scientifiques. Des financements liés à des activités ou des projets précis forment l'essentiel des collaborations financières engagées. La difficulté d'accès à des financements plus pérennes reste cependant la contrainte principale à la réalisation de projets, à la stabilisation de compétences locales et à la mise en place de suivis de programmes.

JPP: En tant qu'ONG locale, quelles sont aujourd'hui vos attentes vis-à-vis de l'UICN ?
BT: La principale attente est de continuer à favoriser un travail en réseau à l'échelle du nord de l'Amérique du sud. Les collaborations régionales sont nécessaires, notamment au vu des enjeux environnementaux et écologiques. A ce titre, il convient de citer l'efficacité du «Groupe des spécialistes des Tapirs » (CSE/UICN). La mise en place de réseaux efficaces et le soutien aux réseaux existants sont également à promouvoir.

JPP: La Guyane française fait partie de l'Union Européenne; elle est liée par ses stratégies pour le développement et l'environnement. Dans ces deux domaines, quelle perception avez-vous des actions de l'UE en Guyane ?
BT: Nous regrettons principalement un manque de cohérence et de vision stratégique des différents niveaux de décision (local, national, européen), rendant difficile la mise en place d'actions concertées et durables sur le long terme. L'absence de moyens dédiés au fonctionnement et à la gestion des aires protégées en est un exemple, après les sommes importantes investies dans la mise en place de ces zones. De même, les avals financiers donnés par l'Etat à des projets industriels (exploitation pétrolière et minière) paraissent incohérents avec les discours nationaux et européens et les efforts faits localement pour un aménagement durable du territoire.

JPP: L'UE s’est engagée à arrêter la perte de la biodiversité dans l'Union d’ici 2010. Quel est le rôle de la Guyane française afin de réaliser ce but; la région pourrait-elle jouer un rôle plus important ?
BT: Avec 183 espèces de mammifères, 718 espèces d’oiseaux et 5,750 espèces de flore, la Guyane française a un rôle évident à jouer vis-à-vis de l’objectif 2010. Les ressources financières, le niveau d’expérience scientifique et technique, la stabilité politique et économique, devraient constituer des leviers forts pour donner un rôle moteur à la Guyane dans cette région de l'Amérique du sud. L'évolution actuelle, avec un désengagement relatif de l'Etat français des questions environnementales et l’absence d’une stratégie claire de la part de l’UE, n’est cependant pas d’un présage favorable à cet égard.

JPP: En matière d’environnement et de développement, est-ce que vous souhaiteriez que l'UE fasse quelque chose de plus dans la région ?
BT: La Guyane française fait partie de l’UE et bénéficie à ce titre de fonds structurels assez importants, mais ces fonds ne sont pas très accessibles aux structures non gouvernementales locales. La biodiversité ne figure pratiquement pas dans les lignes budgétaires européennes, et même une fois qu’ils sont acquis la gestion de ces fonds s'avère parfois complexe. En outre, la Guyane française n’applique pas les Directives Oiseaux et Habitats, donc l’Union Européenne donne de l’argent ...mais il lui reste à se doter des outils permettant d’encourager et d’évaluer la gestion des écosystèmes.

Kwata est une ONG locale, créée en 1994 et membre de l'UICN depuis 1998, dont l'objet est d’étudier et de protéger la faune sauvage en Guyane française. L’association est active en matière d’éducation environnementale, gestion des tortues marines et évaluation des impacts des activités humaines sur la faune forestière. La Guyane française est l’une des régions ultrapériphériques de l’UE. Bien que basée à 7,305 km de Bruxelles, Kwata est donc un membre européen de l’UICN.

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