Ma couleur inconnue est de la sorte de celles qui servent aux peintres, couvrent les supports et créent leurs images. Elle est composée de pigments, avec ou sans liant, avec ou sans solvant.
Il y a une couleur inconnue que je cherche depuis quelques temps : il s’agirait d’une reproduction acrylique du bleu génipa, un colorant puissant contenu dans la chair d’un fruit d’Amazonie (Genipa americana) utilisé par de nombreuses ethnies amérindiennes pour leurs parures et peintures corporelles.
Lorsque j’ai essayé de reproduire cette couleur pour la première fois, j’ai mélangé du bleu Outremer avec du noir ivoire et de l’aluminium (pour la brillance), mais n’ai pas obtenu ce que j’attendais… Ce qui est d’ailleurs assez étrange, car je n’ai pas vu la couleur du genipa depuis au moins trois ans, et donc son bleu (sombre et brillant) n’est plus aussi précis dans ma mémoire qu’il ne le fût. Est-il possible de donner à des pigments et du liant l’aspect d’un fruit qui colore la peau quand on ne l’a pas sous les yeux ?
Cette couleur inconnue que j’ai en tête est-elle d’ailleurs bien la couleur du genipa ?
J’aurai bien entendu pu continuer mes mélanges et les poser en aplats pour proposer ma couleur inconnue, unique et homogène. Mais au final, l’idée ne me plaisait pas : Alors me sont venues deux problématiques que j’ai transformées en propositions :
1 - Une couleur (inconnue) est-elle une unité chromatique indépendante ? Un bleu sera-t-il le même s’il est entouré de rouge que s’il est entouré de jaune ? En partant sur cette voie, je me suis souvenu des travaux d’Aurélie Nemours que j’avais pu admirer lors de sa rétrospective à Beaubourg. Ses couleurs, par leurs proximités, leurs agencements, leurs superpositions donnaient un effet unique.
Le bleu genipa est souvent associé au rouge roucou, un autre colorant d’origine végétale, que l’on trouve lui aussi dans le fruit d’un arbre, le Bixa orellana. La cohabitation de ces deux couleurs est une marque des amérindiens d’Amazonie, c’est le reflet de leur spiritualité. Elle donne un effet étrange, particulier, que j’ai voulu exploiter dans une nouvelle échographie un peu particulière.
J’ai d’abord couvert la toile de ma couleur simili-genipa. Ensuite, j’ai fais vaporiser ma silhouette avec un rouge Naphtol moyen mélanger à de la poudre de roucou.
A l’intérieur de cette silhouette, j’ai placé mon empreinte en la déformant. Au final, j’ai ensuite retravaillé les reliefs avec du blanc et posé les empreintes de fleurs d’hibiscus. Le résultat s’appelle Echographie résiduelle II, il est intéressant chromatiquement parlant, car le bleu et le rouge se répondent et définissent les reliefs d’une façon singulière. J’aime aussi l’opposition entre la brillance de mon bleu simili-genipa et l’effet mat de l’acrylique simili-roucou.

Echographie résiduelle II, détail.
Cette incursion dans la couleur -inhabituelle pour moi- est aussi une recherche quand à la façon de prendre l’empreinte, la trace d’une personne disparue.
2 - Une couleur inconnue peut-elle être préméditée ? A partir du moment où l’on pense à une couleur, il est possible de la matérialiser. Penser une couleur, c’est déjà la définir… Et donc l’identifier. La meilleure chose à faire était donc de ne pas penser ma couleur inconnue avant de la réaliser. Etant donné que j’étais parti pour travailler sur le genipa, j’ai gardé les trois sortes de pigments (bleu Outremer, noir ivoire et aluminium) pour faire ma proposition.
Ensuite, comme vous l’avez vu pendant le cours, j’ai essayé de ne rien calculer : ni les quantités de pigments, ni la quantité de liant, ni la quantité d’eau.
J’ai jeté d’abord les pigments sur la toile posée au sol, puis le liant, puis l’eau. J’ai ensuite remué un peu le tout et ai laissé agir, sans savoir vraiment ce qui allait se passer : je ne savais pas ce qu’il y aurait au final sur la toile.
Le résultat n’est pas une couleur uniforme, mais un enchevêtrement parsemé de craquelures, où l’effet poudreux et mat du pigment sec se marie avec la brillance et la volupté des particules liées. La toile s’appelle Echographie natale : la couleur en peinture.

Echographie natale : la couleur en peinture, détail.
Au final, je suis assez déçu du résultat, notamment parce qu’en fixant les pigments secs le bleu Outremer a perdu toute sa saturation… Cependant, j’ai retrouvé la surprise de laisser la peinture (et la couleur) travailler seule, ce qui m’inciterait presque à travailler avec moins de préméditation.
1 De Marie -
Ce détail m'inspire "ventre de tortue marine remontant à la surface"
2 De Jules -
Marie : bonne idée, héhé ! Tu vas t'occuper de mes titres si tu as autant d'inspiration !