Les mots dans ma peinture... Et le reste.

Je mets en ligne la fin de mon compte-rendu pour le cours de François Jeune : "la peinture en jeu". C'est un peu brut de décoffrage, mais bien entendu s'il y a des questions j'y répondrai avec plaisir !
Deuxième incitation : les mots dans la peinture.

Je dois dire que ce sujet m’a beaucoup inspiré et a entrainé une intense réflexion sur le langage dans ma peinture. Pour répondre à l’incitation, j’ai présenté deux travaux :
- Echographie du langage est un travail réalisé l’année dernière pour un cours de Christine Coenon : « Articulation de l’objet dans la durée ». Le sujet était « Créez une conversation entre deux objets de nature différentes » (regardez, j'en parle ). A la base, ce diptyque était composé d’une toile avec des silhouettes de mains et d’un alphabet de la langue des signes en photomontage. Le spectateur pour comprendre le message de l’œuvre devait passer de la toile à l’alphabet puis de l’alphabet à la toile, dans une sorte de balayage - sans doute celui-là même qui compose mes échographies et crée leurs volumes.
Sur la toile comme dans l’ensemble de mon travail et depuis longtemps, il y a une réelle volonté de cryptage : l’information quand elle est écrite ne doit pas être accessible au premier abord… Le sens de l’œuvre est mis sous clef.

Le sens : voilà ce qui m’importe dans le langage et les mots. Définitivement, je crois pouvoir dire que le sens de la peinture (ou du dessin) me convient bien plus que le sens du verbe :
La langue française me pose problème dans une certaine mesure parce qu’elle fonctionne trop sur la différenciation, sur la dualité. Le bien/le mal, la vie/la mort, l’ordre/le chaos s’opposent dans notre langage et sont affublés d’une valeur, alors que le tout qu’ils composent n’a pas de nom… Est-il vraiment pertinent de séparer la vie et la mort, le bien et le mal, l’ordre et le chaos ? Pourquoi cette absence de mot pour les entités que l’un et l’autre forment ?
Si je suis méfiant du langage parlé ou écrit, c’est sans doute parce qu’il est réducteur dans le sens de ses mots. Les mots (d’aujourd’hui en tout cas) sont petits, restreints à un sens unique qui bien souvent manque d’envergure, mais surtout ils disparaissent lorsqu’il s’agit d’entrer dans le domaine qui m’intéresse, la Chose sans Nom dont personne ne veut parler, celle qui me semble être le plus puissant de tous nos tabous (ce qui explique sans doute que je crypte mes travaux : respecter un tabou verbal vaut mieux que d’être lapidé sur la place publique !).
Dans la peinture, une chose est sûre : noir + blanc = gris. Il est donc possible de réunir par la peinture deux entités que le langage commun aura tendance à opposer. Je vois là une porte d’entrée dans le fameux domaine sans Nom, et je pense qu’il s’agit là d’une des principales problématiques qui sous-tendent mon travail.
Ainsi et pour conclure, si ma peinture doit avoir un sens, je préfère tant que possible que ce sens ne soit pas restreint par des mots. Je prends maintenant l’exemple de ma deuxième proposition pour illustrer ces propos : la Toile sans titre (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si je ne veux pas la nommer).

- Toile sans titre est un tableau sur les mots que j’ai dû dire lors de l’enterrement de mon frère pour que son âme parte en paix, mais aussi sur toutes les causes et les effets de cet acte :
La couleur cuivre du fond a plusieurs valeurs de sens : la brillance est de l’ordre du sacré. La couleur cuivre est du domaine du problème électrique, que ce soit la cause de l’incendie qui a tué (court-circuit) ou la conséquence du décès (le fusible qui saute dans la tête des proches).
Idem pour le noir posé en dégradé : il est à la fois fumées toxiques (cyanure, toluène, etc.) mort qui s’installe doucement (une semaine de réanimation avant décès) et couleur du deuil.
Pour continuer dans la couleur, si comme le dit Klein le bleu est « la couleur du vide », alors ce n’est sans doute pas par hasard que je l’ai placé dans l’iris ; le rouge du visage et des extrémités est en rapport avec un rêve du matin de la cérémonie.
La lune, représentation de l’esprit du mort après la cérémonie, la peinture du corps contenant la terre de la tombe, les empreintes de fleurs d’hibiscus rouge qui seront faites bientôt avec mon sang, leur nombre (7), leur agencement (de la bouche du personnage vers la lune) sont autant d’éléments chargés de sens, indicateurs d’instants, d’évènements, porteurs de croyances et de légendes qui gravitent autour d’une histoire vraie.
Avec la peinture je la trouve complètement relatée, parce que tout y est sans distinction. Toute l’histoire s’embrasse en un seul coup d’oeil… Alors que si je devais raconter tout ceci avec des mots, il me faudrait des pages et des pages.

Cette toile est assez particulière pour moi, je crois que j’ai retrouvé les réflexes de thérapie par l’art qui m’ont déjà permis il y a quelques années de ne pas sombrer dans la folie. Elle a quelque chose du rituel salvateur, comme si j’avais pris l’histoire sur le fil du temps et que j’avais fait un noeud pour qu’elle tourne en boucle sur elle-même entre le rêve du matin de la cérémonie et le levé de lune de la nuit suivante. Peindre l’a sortie de moi et j’ai pu la voir en face.
La peinture aura encore une fois été bien plus efficace que les mots.



Toile sans titre, dernière étape avent les empreintes de fleurs.

[...]

Quatrième sujet : Visions capitales, quelle tête faites-vous ?

Le hasard a voulu que je fasse mes propositions avant que vous ne nous donniez le sujet ! Les topographies sont des images virtuelles très graphiques obtenues en travaillant des photographies sous photoshop. Elles proposent des portraits (ou des parties du corps) constitués de lignes de niveaux, comme une carte topographique.



Première topographie, image virtuelle.

Je suis arrivé à ce type de représentation en essayant de résoudre la problématique suivante : comment constituer une image du type de la peinture échographique (de l’ordre de la trace, de l’empreinte, de la prise des volumes et des contours) à partir d’une personne qui physiquement n’existe plus ?
L’objectif était alors de finaliser une peinture de mon frère qui aurait dû poser pour moi le lendemain de l’incendie pour une Echographie de la pêche avec un épervier et des poissons.
La toile qui avait été préparée est devenue Coma, l’empreinte brute de mon corps qui faisait allusion à son état clinique. A partir de cette toile et depuis le décès, j’ai cherché le moyen de le représenter en empreinte. Me disant que nous avions à peu près la même physionomie et que nous nous ressemblions, j’ai tenté à plusieurs reprises de me substituer à lui (comme dans Echographie résiduelle en deux tentatives), mais cela ne fonctionnait pas. Je n’arrivais pas à m’effacer. C’est alors que j’ai quitté la peinture et me suis tourné vers les photographies. En travaillant sur une photo de ma petite cousine couverte de peinture je suis arrivé au résultat ci-dessus, et l’ai directement appliqué aux photographies de mon frère (seules traces qu’il me reste de lui).

Ce qui me semble intéressant dans cette série d’images, c’est que -comme vous l’avez exprimé en cours- elle relève d’une même volonté que les peintures échographiques : balayer les contours d’un objet. Et je vais maintenant en revenir à la « Chose sans Nom » que j’ai cité pour la Toile sans titre.

J’ai publié sur mon blog le 14 novembre dernier le texte ci-dessous :

Il y a quelques temps, lorsque j'ai commencé à envisager de vivre de mon art s'est posé pour moi la question suivante : à quoi sert l'art dans une société ? C'est une question qui peut sembler futile, mais elle m'est venue pour la simple raison que je n'aime pas l'idée de ne servir à rien du tout...
Et donc au cours de cette réflexion une image m'est venue :
Si l'humanité était une terre, les artistes en seraient les volcans.
La création serait une irruption, les oeuvres d'art un magma qui en se répandant brulerait les vieux champs et redessinerait les paysages...
Des terres modifiées et fertilisées où la végétation pourrait de nouveau s'enraciner, sans doute la même mais autrement agencée.
... Parfois même de nouveaux ilots sortiraient de l'eau.
Bref, les productions artistiques seraient autant d'irruptions de la conscience collective... Et l'art le lieu initiateur de ses mutations.
C'est un idéal sans aucun doute. J'aimerai l'approcher.


La conscience collective citée, c’est une façon maladroite de parler de la fameuse Chose sans Nom, celle que j’ai lue dans des livres comme La grande image n’a pas de forme de François Jullien ou encore Fra Angelico, dissemblance et figuration de Didi-Huberman. Ces auteurs procèdent avec elle comme je le fais dans ma peinture. Ils la cite, ils en déterminent les contours, mais sans jamais la pénétrer.
Voilà donc sans doute le pourquoi de mes échographies et de mes topographies : elles déterminent les contours de la Chose sans Nom qui est dans l’humain, dans chaque être humain, mais sans jamais la pénétrer. Elle reste tapie sous les formes de mes corps.
La question suivante est « pourquoi ne pas la pénétrer ? » Est-ce une question de tabou comme je l’ai exprimé dans le texte sur la Toile sans titre ? Est-ce autre chose, comme une question de l’Immatériel et du Grand Rien chers à Klein ? Je n’en ai pas encore la réponse. Mais je finirai bien par trouver.

A suivre...

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