Il se trouve que mes parents ne m’ont jamais vraiment poussé vers l’art occidental. Je visitais le Musée de l’Homme, les galeries du Jardin des Plantes plutôt que le Louvres ou les galeries d’art. Eduqué dans la curiosité pour la nature et les hommes avec des approches naturalistes et ethnologiques, je m’extasiais devant des dessins de Buffon ou d’Audubon, des récits d’expéditions anciennes plutôt que face à un tableau de De Vinci ou au David de Michel-Ange… Plus tard, le domaine artistique a même pris un goût d’interdit lorsque mes parents m’ont refusé une scolarité dans le domaine de l’art (il est clair qu'on a déjà vu mieux en terme de sécurité de l'emploi !). Ainsi ma culture artistique occidentale n’a jamais été plus élevée que la moyenne nationale (déjà pas bien haute !) : je connaissais la Joconde de nom, et avais vu quelques reproduction d’Ingres ou de Picasso dans mes livres d’Histoire... Et je n’ai pas cherché à en savoir plus, même quand l’envie s’en est fait sentir…
D’un autre coté, j’ai développé un intérêt pour l’exotisme lors de voyage en famille (Afrique et dans les Amériques) durant lesquels je découvrais sur le terrain des civilisations et des arts d’ailleurs, leurs histoires, leurs fonctions et aussi parfois quelques modes de fabrication. Cet intérêt a été amplifié par un phénomène exposé aussi dans mon dossier de VAE : de par certaines de mes singularités, je me suis marginalisé dans mon enfance suite à diverses agressions (mon nom par exemple n’a pas été facile à gérer pendant les premières années !). D’un autre coté, j’étais totalement intégré lors de mes voyages en terres lointaines baignées par des cultures totalement différentes de la mienne (au Sénégal, en Guyane notamment). Vivant en banlieue, j’étais aussi aux premières loges pour observer les diverses formes de ségrégations (dont le racisme).
Avec tout ceci, j’ai rejeté l’Occident qui ne semblait pas m’intégrer (les enfants ont parfois de drôles d’idées) et me suis identifié à certaines populations d’ailleurs, certaines causes exotiques.
Voici donc quelques explications qui, si elles me semblent toujours correctes, ne dépeignent pas intégralement le tableau de mes influences.
Aujourd’hui, après trois semestres de réflexions sur ma propre démarche, je pense pouvoir apporter d’autres éléments d’explications à cette double réalité. Je crois aussi avoir compris comment elle se manifeste dans mes productions actuelles, et pourquoi elle résiste encore aux incitations scolaires qui poussent les étudiants à nourrir leurs productions plastiques de l’Art Contemporain.
L’intérêt pour la nature et les hommes qu’ont généré mes parents m’a conduit à suivre différentes formations, dont la deuxième à l’Université de Nanterre, en histoire/ethnologie (1997/1999). Un double cursus des plus intéressant puisqu’il m’a permis d’assister à des cours qui m’ont influencé par la suite dans ma pratique : Histoire de l’art africain, de l’art précolombien, cours de musicologie. Ces cours m’ont apporté beaucoup de choses dont deux qui aujourd’hui encore sont présentes dans mon travail :
J’ai eu la chance de pouvoir étudier les cultures précolombiennes du Mexique trois ans après avoir visité les sites archéologiques du pays avec mes parents. Sur le terrain ou par la théorie, j’ai pu appréhender la richesse historique et artistique de l’ « Antiquité » mexicaine, découvrir la complexité des sociétés aztèques, toltèques (et autres noms en -èques), de leurs traditions, leur conception de la vie, de la mort, de la guerre. C’est alors qu’est né mon intérêt particulier pour les cultures amérindiennes, et j’ai commencé à étudier les contes et légendes des peuples natifs américains, sans me restreindre au Mexique ou à l’ère précolombienne.
C’est à cette époque que je me suis accaparé certains symboles des peuples précolombiens du Mexique :
- Aux stèles de Palenque représentant les grandes batailles, j’ai volé la symbolique des yeux : s’ils sont ouverts ils appartiennent aux vainqueurs, ceux qui ont gagné leur Guerre et qui sont libres ; s’ils sont fermés, ce sont les yeux des perdants, des prisonniers devenus esclaves. J’ai repris ces symboles en fonction des états psychiques dans plusieurs séries, dont les toiles organiques…

Plume en tête, 2004

Arbre en tête, 2004
… Mais aussi dans la récente série des échographies : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le personnage de la Toile sans titre a les yeux ouverts et exorbités.
- J’ai aussi intégré à mes productions les volutes qui dans la symbolique aztèque représentent le chant, la matérialisation de la parole, la voix. Le vol a été commis au Musée d’Anthropologie de la ville de Mexico en 1997 sur le Paradiso de Tlaloc. Je l’ai récemment raconté dans ce texte illustré.
Pourquoi ce rapport à la parole, pourquoi la matérialiser ? Et bien sans doute parce que je ne crois qu’en la tradition de transmission orale (par opposition à la tradition écrite). Ces bouches ouvertes sont autant de paroles, de hurlements et de chants qui psalmodient leurs vérités et créent les harmonies…
En fac d’Ethnologie, j’ai aussi pu étudier les pygmées d’Afrique équatoriale et leurs productions artistiques. J’ai pu constater comment leur milieu de vie influençait les akas et les bakas dans leurs arts : les productions (peinture et gravures sur écorces, mais surtout chants polyphoniques) ressemblent à la grande forêt équatoriale dans leurs structures. Elles sont constituées d’une multitude de symboles, signes, éléments porteurs de sens qui assemblés, superposés créent un tout unique et indissociable. Les chants polyphoniques des pygmées recréent l’unité à partir de la multitude comme les blocs verts que sont les grandes forêts équatoriales doivent leur cohésion à une faune aussi riche qu’invisible… Le hasard a voulu que cette découverte ait coïncidé avec celle de la forêt de Guyane que je partais arpenter à la moindre semaine de vacances. L’histoire des pygmées est alors entrée dans la mienne.
Un peu plus tard, j’ai découvert sur ARTE un documentaire sur les pygmées, diffusé tard le soir. Un film en noir et blanc, sans commentaires, sans ajout de son, avec des scènes de vie et des longs plans fixes chargés de poésie. Ce film est encore gravé dans ma mémoire : je voyais à travers l’écran que des gens du même siècle que moi arrivaient à vivre en harmonie avec leur environnement, je dirai même en symbiose. Quelle émotion de les voir chanter avec une facilité déconcertante des mélodies aussi complexes et raffinées que celles de nos grands compositeurs classiques, de les voir jouer du tambour d’eau. Ils riaient, ils se souriaient. Tout le monde avait l’air de s’apprécier (Baka de Thierry Knauff, 1995).
Ce film a déclenché quelque chose chez moi. Très peu de temps après, j’ai repris le noir (et blanc) du film pour commencer une série de dessins. Depuis, le noir me suit et je ne peux m’en débarrasser, même quand on m’y exhorte.

Première Hallali, 1998

Nzénzénzé, enfant chantant, 1999
Il y avait dans ces images de pygmées l’idéal que je cherchais, un trésor de réponses auxquelles la société française n’avait pas su répondre. Alors je suis parti me chercher ailleurs : un an et demi plus tard je vivais en Guyane et avais trouvé un travail me permettant d’étudier la grande Forêt.
Dans mon dossier de VAE, j’ai aussi parlé de mon expérience de vie en Guyane. Une expérience courte mais intense, puisque pendant trois ans j’ai pu découvrir la forêt et une partie de la population guyanaise. J’en ai parlé dans un texte récent publié ici :
« De 2000 à 2003, j’ai travaillé comme chargé de mission pour l’association Kwata en Guyane. Cette association a la particularité de travailler comme un bureau d’étude et s’attache à proposer aux décideurs locaux des outils de gestion durable permettant d’intégrer les problématiques environnementales au développement économique du département français. Lors des différentes études que j’ai participé à mener, et grâce aux enseignements de Benoît de Thoisy (un des rares chercheurs français à ne pas étudier la forêt guyanaise comme s’il s’agissait d’une annexe du bois de Vincennes) j’ai pu embrasser dans une certaine mesure l’immensité du milieu naturel intact qu’est la grande forêt de Guyane, mais aussi la complexité des interactions entre la multitude d’éléments qui la constituent. […]
Parallèlement, mes parents et moi avons tissé des liens forts avec une famille d’amérindiens wayanas vivant dans le village d’Antécum Pata à l’intérieur de la zone (soi-disant) protégée qui couvre la moitié sud du département. Avec eux j’ai découvert une vie en harmonie avec l’environnement (un modèle correspondant à celui de la gestion durable des ressources), que les hommes font partie de la nature (alors que les occidentaux ont tendance à s’en exclure) mais aussi un communautarisme -auquel j’opposerais l’individualisme rencontré dans nos régions. »
D’une certaine manière, je considère que mon esprit est né en Guyane, suite aux expériences vécues dans la forêt ou auprès des indiens, comme des rites de passages (cf explications de la notion dans le projet Imago) qui auraient apporté des réponses à chacune de mes questions : comment tout fonctionne, quelle est ma place dans la nature, quelle est ma place parmi les hommes, que dois-je faire ?
La Guyane est au moins importante dans mon art parce que c’est en son sein que j’ai découvert (ou choisi ?) ma place et décidé de devenir artiste. Cette expérience a aussi marqué mon travail dans le sens où plusieurs de mes récents travaux sont en rapport directs avec le phénomène décrit ci-dessus, que j’appelle aussi « la maturation de l’esprit » : par exemple, Chirurgie plastique parle de la déstructuration, restructuration de l’individu lors du passage à la maturité ; Nuée III porte sur l’impression d’explosion que l’on ressent lorsqu’on change d’état (à mettre en parallèle avec un poème que j’ai écrit en 2002 : A la verticale/Une projection parfaite / m'étale sur les trocs, / me divise et me complète / ennuées de papillons).
Les conséquences dans mes travaux de la rencontre avec les cultures indiennes (surtout les wayanas et les palikurs) se font sentir dans le phénomène suivant : comme les contes indiens, mon travail mêle les dimensions et les temporalités, il confronte les extrêmes et les antagonismes. Je dois creuser dans cette voie car je ne suis arrivé à cette constatation que très récemment, lorsque l’intervenant du cours –dont j’ai oublié le prénom- m’a demandé comment la culture amérindienne transparaissait dans mes toiles.
Enfin, je dirai que cette expérience d’un lieu et d’une culture inconnus m’a donné du recul par rapport à ma propre civilisation, comme les voyages faits dans l’enfance et l’adolescence, mais de façon bien plus intense.
La découverte de l’ailleurs permet les comparaisons entre les différents lieux et les différents peuples. Ces comparaisons permettent à leur tour de mettre en évidences les dissemblances, mais surtout (et au final, c’est vraiment ce qui m’importe) les similitudes entre les différentes entités. L’ethnologie est dans le domaine la discipline la plus valable : elle est capable de tirer des globalités, des généralités à partir de l’observation d’échantillons. C’est par exemple en comparant diverses communautés humaines que Arnold Van Gennep a mis en évidence l’existence des rites de passage (cette notion qui m’est si chère) dans chacune d’elle, et à réussi à dégager un schéma global de déroulement de ces rites, applicable à chacun de ses dérivés locaux.
Cette approche ethnologique est très présente dans mon travail, surtout dans la série des peintures échographiques : j’y ai un réel souci de représenter un sujet par ce qu’il a d’universel, de global. Ceci explique sans doute que mes personnages n’aient aucun (sinon très peu) d’attributs vestimentaires qui donneraient des indices sur leur provenance spatiale ou temporelle. C’est sans doute aussi à cette volonté de globalisation que répond le phénomène de balayage (dans les peintures échographiques et les topographies) que vous avez récemment mis en lumière.
Ainsi, j’aurai tendance à dire que je suis une sorte de métis culturel, et c’est cette culture multiple que j’essaie de préserver, d’entretenir, mais aussi de transcrire et de partager dans mes travaux plastiques. En tout cas c’est au moins vers ceci que je veux tendre.
Or, aujourd’hui je vis à nouveau en France métropolitaine, baignant donc dans la culture occidentale que j’ai déjà pratiquée pendant les 20 premières années de ma vie. Quelques fois je me sentirai presque inondé. Dans ces conditions et face à l’immersion, mon équilibre passe par le maintien des liens avec mes autres racines (par le voyage, les livres et les expositions ou encore les émissions de télé -quand elles sont un minimum valables), mais aussi lorsque le besoin s’en fait sentir par une prise de distance par rapport à l’Occident.
Voilà donc pourquoi je continue encore à repousser très régulièrement et tant que faire se peut tout ce qui est du domaine artistique occidental. Durant certains cours théoriques à l’Université par exemple, je refuse de me lancer dans des débats qui pour moi sont stériles, car complètement déplacés. La France dans son obsession de la théorisation a d’ailleurs la palme dans la catégorie « J’invente des concepts jusqu’à me décoller de la réalité ». En cela, je refuse d’être français. Je tiens coûte que coûte à garder les pieds sur terre et à cultiver un point de vue le plus visionnaire possible… Je sais que c’est très ambitieux, mais il me semble qu’on ne va jamais bien loin quand on vise de petits objectifs.
Cependant, il va de soi que si je veux affiner la vision globale de l’Humanité que je souhaite peindre, je ne peux pas non plus repousser complètement l’Occident, surtout en sachant que ce sont ses populations que je vise ! Je crois que c’est sur ce point que se situe mon problème actuellement quand à la gestion de mes influences.
Le souci de préservation et d’entretien de mes racines « exotiques » est né avec mon retour en France métropolitaine. Durant les premières années qui ont suivi cet évènement, j’ai subi d’énormes changements, ce qui est tout à fait normal car même si j’ai essayé de vivre ici à la façon guyanaise, j’ai vite dû me résoudre à m’adapter à mon nouvel environnement sans quoi je risquais de redevenir un marginal et de me déconnecter de la réalité occidentale. Il n’empêche que ces changements m’ont affolé : j’avais peur de perdre mes acquis. Aujourd’hui, j’ai réussi à surmonter cette peur : ce qui m’a construit ne changera jamais et je crois, du peu de recul dont je dispose, que mes expériences de l’Ailleurs restent et resteront un acquis stable, un fondement de mon identité. La vie à l’Occidentale n’altèrera pas cela. Du coup, je crois pouvoir enfin commencer à concilier mes racines occidentales et les autres.
C’est important, car je ne peux pas nier que c’est grâce au timide début d’ouverture à l’Art Contemporain l’année dernière que j’ai pu progresser dans mes travaux : la série des peintures échographique me semble d’ailleurs plus tenir de ce mouvement que de l’art traditionnel d’Afrique ou des Amériques, au moins dans sa forme. L’un des objectifs à atteindre maintenant est de réussir à maintenir un équilibre entre mes diverses racines quel que soit le lieu où elles prennent leurs sources.
1 De Jules -
S'il y a des correcteurs potentiels, le mieux est de copier le texte sur un message et de corriger les fautes en couleur... Mon mail est en haut de la colonne de gauche.
Pour l'orthographe, la grammaire et la fluidité ça m'aiderait beaucoup !
2 De Marie -
On peut dire que mon sixième sens et demi a fonctionné ... je suis revenue voir si tu travaillais, ben mazette ... je vais faire comme tu demandes, et tout de suite tu peux corriger à la dernière phrase : QUEL (espace) QUE SOIT (n'importe lequel) et si accepte de remplacer quelques expressions genre "de ce fait" au lieu de "du coup" tes racines vont s'aérer. Bisous avec plein de ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ
3 De Marie -
C'est mon PC maison ...
4 De Jules -
Rho, merci Wonder Marie ! Tu vas ans doute sauver mon devoir...
Je vais rectifier selon ton fichier.
5 De Jules -
Bon, j'ai TOUT corrigé sur mon devoir... Ici, je n'ai fait que les fautes, je suis un peu trop claqué pour les fautes de styles (je les changerai dès mercredi.
En tout cas Marie, grâce à toi, c'est un peu plus fluide, et aussi un peu plus soutenu ;-)
6 De Marie -
service
7 De Jules -
Je t'en dois un alors...