Il est indéniable que mon nom de famille a eu des conséquences sur la construction de mon identité et ce dès mon plus jeune âge : à partir du moment où j’ai commencé ma scolarité j’ai été marginalisé, sujet à moqueries et parfois même maltraité physiquement dans les cours d’écoles ou de collèges.
Je me rappelle notamment d’un lynchage complètement gratuit en primaire où mes camarades soudainement transformés en une meute bestiale s’étaient défoulés sur mon plexus ! C’était comme un orage d’été, je ne l’ai pas vu venir et ça s’est dissipé aussi vite que c’était arrivé… A se demander même si ça avait vraiment eu lieu ! Mais pourtant je restais choqué face à une violence déclenchée par ce nom que non seulement je n’avais pas choisi, mais qui en plus ne me définissait pas. La respiration coupée et en sanglots, je n’avais qu’une question pour mon institutrice qui tentait de me réconforter : c’était « pourquoi ? », pourquoi cette injustice qui me donnait envie de mourir ?
Ce genre de péripéties m’a rendu un brin paranoïaque et surtout d’un caractère plutôt solitaire : à l’époque déjà, mon activité favorite c’était de fabriquer des histoires sans paroles, avec des crayons, du papier ou de la pâte à modeler… Car mon père en plus de son nom m’a donné le goût du dessin et dès que j’ai tenu assis il prenait ma main dans la sienne et ensemble nous dessinions des poissons…
Plus tard lorsque la colère me rongeait et que je voulais m’évader d’ici-bas, là où les autres me rendaient la vie invivable, je dessinais des jeunes garçons complètement nus qui s’envolaient vers le ciel sur le dos de chevaux fougueux et cabrés, sans aucun harnachement ; des femmes ailées, des animaux sauvages ou mythiques (oiseaux, Pégases, licornes, etc.) dans des paysages imaginaires où soufflait le vent de la liberté, avec comme un gout de Paradis…
Je n’explique pas tout cela pour jouer les martyres, car si dans l’enfance ces évènements ont été très durs à supporter, aujourd’hui je crois que c’est ce qui fait le plus profondément partie de mon identité : ça a participé à ma construction.
Mon but en exposant ces expériences (et les suivantes) est de montrer que très tôt, le grand « Pourquoi ? » (Celui du Chaos, de la grande Injustice) s’est posé devant moi comme une question essentielle. Parallèlement, par la pratique du dessin et par la fuite dans l’imaginaire, je rétablissais l’équilibre dans ma propre vie.
Dès le début de ma construction, ces deux caractéristiques m’ont donc prédisposé à me pencher sur la question des liens entre le religieux, la spiritualité et l’art, d’autant plus que j’ai été élevé dans une famille athée et cartésienne.
Mes parents sont des blancs issus de plusieurs générations de blancs provenant de diverses régions de France (si on cherche plus loin, on trouve du métissage coté Inde, mais ça ne se voit plus depuis fort longtemps).
Comme beaucoup de français de leur temps, ils sont baptisés mais non-pratiquants : ils n’ont aucune foi dans le Dieu des chrétiens, et se définissent eux-mêmes comme athées.
Ils ont tous deux suivi des études plutôt du coté des Sciences : ce sont donc des cartésiens. Depuis que je suis petit par exemple, ma mère me dit souvent : « Je suis comme Saint Thomas : je ne crois que ce que je vois » (on notera au passage que l’athéisme n’empêche pas les références à la Bible, mais ça c’est une autre histoire). Et au final, ce sont ces outils-là que mes parents m’ont donné pour me forger ma propre idée de toute chose : la vérification d’hypothèses par l’expérimentation scientifique et/ou l’observation participative et directe, le tout avec le souci d’une objectivité optimale. Je suis donc parti dans la vie sans religion mais avec un outil d’appréhension du monde qui m’entourait : l’expérimentation. Et j’ai aiguisé cet outil pendant ma croissance, sous l’impulsion de mes parents, devenue par la suite ma propre initiative.
Ma famille est très naturaliste : les vacances et les loisirs étaient tournés vers l’observation de la nature, de la faune et de la flore partout où nous allions. Mon père, passionné d’entomologie, collectionnait les papillons et durant notre enfance (mon frère et moi) la famille élevait des chenilles et des coléoptères venant des quatre coins du monde dans des vivariums… J’avais alors des carnets dans lesquels je notais les dates et autres spécificités des différents stades larvaires de nos bêtes, des mesures de tout et n’importe quoi en centimètres, les noms vernaculaires et latins des plantes qu’elles mangeaient et de tout ce qui les touchait de près ou de loin, je collais les peaux de mues, schématisais leurs comportements de nutrition ou de défense… En fait je dessinais beaucoup et ma famille m’encourageait dans cette voie en m’offrant régulièrement des encres, des pinceaux ou des crayons de couleurs.
Ce qui me fascinait le plus dans toutes les étapes de la vie de ces insectes, c’était la phase de la nymphose, cet état par lequel nos grosses larves asexuées et pataudes se transformaient en bêtes ailées, gracieuses et élégantes. Je suis resté des heures entières à scruter des chrysalides pour essayer d’en pénétrer le mystère, et si j’avais été sûr que ça n’aurait pas stoppé le processus en tuant les bêtes, j’aurai ouvert chacune des coques avec un scalpel pour voir « ça » de l’intérieur.
L’image de la chrysalide me fascine toujours aujourd’hui mais d’une autre façon, parce que j’aime l’idée que notre esprit se développe d’une façon similaire.
Pendant les ballades familiales, le but était de réussir à observer un lapin, à attraper un lézard vert pour le voir de près, à identifier un oiseau, à la vue ou au chant. Un peu plus tard, sous l’impulsion de mon oncle paternel, je me suis passionné pour la chasse photographique, et pendant cinq ans (de 14 à 19 ans) j’ai passé le plus clair de mon temps à suivre une population de chevreuils dans un bois de l’Oise. J’apprenais leurs itinéraires et tentais (vainement à vrai dire !) de reconnaitre chaque individu, suivant le rut caché dans un fourré, cherchant les bois à l’automne, ramassant les crânes et les pattes sur les cadavres, fuyant les chasseurs pendant les saisons froides. Là encore je notais tout, et j’aimais particulièrement représenter les animaux (surtout les oiseaux) par le biais de dessins que je rangeais ensuite dans des classeurs ou des carnets d’observation.
Quand je n’étais pas dans le bois, je montais à cheval : une bonne école de la vie à de nombreux niveaux. AU niveau du dessin, l’anatomie comparée a été une véritable révélation : en comparant les squelettes, j’ai constaté que ceux des chevaux étaient très proches de celui des humains (à part des histoires de proportions)… Alors je commençais à replacer l’Humain dans l’Animal, et « moi » par la même occasion.
J’ai aussi appris à prendre soin d’un animal, à m’y adapter mentalement et physiquement (c’est au bout d’une semaine de stage et les fesses ensanglantées que j’ai appris à avoir de l’assiette !). J’ai d’ailleurs été assez marqué par un hongre capricieux avec lequel s’est développée une relation de confiance et de respect assez profonde. Il s’appelait Jardin de Paix, mais comme moi il ne méritait pas son nom ! Son caractère était assez particulier, et mis à part ses propriétaires, j’étais un des rares cavaliers à réussir à le monter d’une belle façon.
Du coup, lorsque j’ai dû m’orienter au niveau scolaire, je me suis dirigé vers les sciences naturelles (biologie, chimie, mathématiques, physique) pour répondre à cet intérêt envers le monde du Sauvage. Après une tentative manquée de virage vers le domaine artistique à la sortie du bac, je me suis tourné vers la biochimie : on a terminé de m’y asséner la méthodologie scientifique dans la cervelle à grands coups de théorèmes mathématiques (un véritable traumatisme, je vous jure !).
Heureusement je garde de cette période quelques bons souvenirs, comme celui de l’introduction à la physique quantique.
La suite au prochain épisode...
L'art et le religieux dans ma pratique. EPISODE 1.
Un sacré dossier (Ha ha ha !) que je suis en train d'écrire pour un cours apparu cette année à la fac de Saint Denis. D'ailleurs, ce fait ne m'étonne pas : on est en plein dans l'actualité, ou du moins la mienne.
Bref, ne vous inquiétez pas, je ne suis toujours pas devenu prophète. Voici donc la première partie presque achevée, prenez ça comme le premier épisode de la vie fantastique de Julien S.
1 De Marie -
Les dessins remplacement les mots, tu as aussi et largement les mots, sauf que St Nicolas a remplacé St Thomas mais bon, entre citations et pratiques religieuses on y perd quelquefois son latin.
2 De labarone -
moi aussi mon chat j'ai été martyrisée en primaire,
ils ont transformé mon nom de famille en :"deux kekettes en l'air"...
en plus j'étais rouquine...
3 De Jules -
Marie : Alala, j'ai vite rectifié l'erreur ! Bien sûr que c'est Saint Thomas ! Quand je pense que j'ai filé une version tout à l'heure à ma prof, elle va bien se marrer...
Baronne of my heart : Ben tu vois, si on s'était appelés Dupont on serait pas devenus artistes... C'aurait été dommage tout de même !
4 De Marie -
S'appeler Dupont, non à moins que ce ne soit un sot briquet ... ce qui n'a pas été son cas (S.T DUPONT)
5 De Jules -
Marie :Et vive les noms de chieurs !