L'art et le religieux dans ma pratique. EPISODE 4.

Et ça continue...
Après trois ans passés au fin fond du bois, le retour en France métropolitaine et même à Paris n’a pas été tout de suite un véritable choc. J’ai débarqué au début de la canicule donc il y avait plein de soleil et il faisait toujours chaud, ça ne me changeait pas trop de Cayenne au niveau climatique. J’avais des objectifs auxquels je me suis vite attelé, l’un d’entre eux était d’aller à la rencontre du milieu de l’art : visites de galeries avec ou sans book, rencontres avec des artistes, etc.
Un jour, je suis entré dans le squat d’artistes de la rue de Rivoli (l’Electron Libre), et y ai rencontré une jeune peintresse volcanique et exubérante qui sentait bon l’Italie : Adélaïde Blanc.
Avant de la rencontrer, je n’avais pratiquement jamais touché à une toile ou à de la peinture… Or je me suis rapidement installé en collocation avec elle et une de ses amies dans le 17ème arrondissement : nous avons commencé à visiter des expositions ensemble et à faire des ateliers peinture dans notre appartement, ce qui a duré tout l’été 2003.
Adélaïde faisait de la peinture abstraite, quelque chose qu’aujourd’hui je qualifierai d’un peu expressionniste : ses toiles étaient des émanations de ses sentiments, un peu comme mes dessins et mes sculptures de l’époque, c’est sans doute pour cela que nous nous sommes tout de suite entendus… Durant nos ateliers, elle a cependant essayé de m’aider à me détacher de mes manies d’illustrateur : je devais travailler sans sujet, sans idée, sans les outils traditionnels que sont les pinceaux.
Pour peindre, je me mettais en situation pour me sentir bien : peindre était un plaisir cet été-là, pas encore une nécessité. Donc j’ouvrais la fenêtre pour faire entrer lumière et chaleur, il fallait aussi absolument mettre une bonne musique dans l’ordinateur, et à chaque fois je commençais la séance par fumer un pétard. C’est une habitude dont je me suis débarrassé depuis, car je n’ai plus besoin de cela pour me mettre « en état ». Il me parait important de signaler ce fait parce que le cannabis est une drogue qui amplifie les sentiments, là où par exemple l’alcool désinhibe. Me droguer était alors le seul moyen que j’utilisais pour faire monter mes sensations en intensité avant de les sortir de moi dans les productions.
Alors je me mettais au sol (habitude remontant à l’enfance) et prenais une toile vierge et les tubes d’acrylique. Ensuite, il y avait le « laisser-aller ». Souvent je commençais par barbouiller la peinture diluée avec de l’eau, jusqu’à ce qu’à un endroit du tableau mon imagination fasse apparaitre une image, un visage de profil le plus souvent… C’est un processus assez similaire à celui des enfants qui cherchent des formes dans les nuages, sauf que personnellement je n’ai jamais rien vu dans les nuages et je crois même que cet exercice m’a toujours ennuyé ! Par contre à ce moment, dans les expos (dont celle de Zao Wu Ki à la galerie du Jeu de Paume) ou même dans la rue, je voyais souvent des images de profils humains, formées par des ombres, des lumières, des perspectives, des oppositions de matière etc.
Une fois l’image trouvée je la « révélais » en la retravaillant plus ou moins légèrement. Par exemple, pour le triptyque, j’ai commencé par la toile du bas en barbouillant du bleu. J’ai vu le visage de la femme qui apparaissait par les blancs (joue, nez, lèvres) que je n’ai d’ailleurs pas du tout touchés par la suite, ils sont restés tels que quand l’image est arrivée. Ensuite, les sombres ont été posés au cutter, le reste du corps aussi et au final j’ai gratté pour les zones de lumières moindres (les oreilles par exemple). Ensuite sont venues les deux autres tableaux, dans des processus à peu près similaire sauf qu’il y avait plus de préméditation, surtout dans le lien rouge.
Sur le coup, j’ai été étonné de la violence de mes toiles, car je me sentais heureux à ce moment là. Aujourd’hui, certaines d’entre elles me posent d’ailleurs de gros problème, mais comme je suis en plein dedans je préfère ne pas aborder ce sujet tout de suite.

Par contre à l’arrivée de l’hiver les choses ont changé. J’ai commencé à me rendre compte que j’étais vraiment revenu en métropole, que je ne pouvais plus vivre à la Guyanaise : fini les shorts et les pieds nus dans la rue, il faisait trop froid chez moi pour que je me promène partiellement ou totalement nu, j’ai commencé à manquer de soleil, retrouvant cet été végétatif que déclenchent les courtes journées de décembre et janvier. De plus, j’avais (pour ne pas changer) un réel problème d’identité : j’étais blanc à l’extérieur, mais à l’intérieur il y avait plein de couleurs (du blanc bien sûr, mais aussi du noir et du vert) et mes interlocuteurs étaient souvent dépourvus face à ce décalage, surtout lors des premiers contacts. Enfin je n’avais qu’une angoisse : redevenir comme avant, perdre ce que j’avais appris en Guyane si je reprenais le style de vie métropolitain.
Alors la peinture est devenue une nécessité comme l’avaient été auparavant la sculpture ou le dessin. Voici la série en ordre chronologique :



Nuée I : un poème est à la source des toiles ainsi nommées : A la verticale / Une projection parfaite / M’étale sur les troncs / Me divise et me complète / En nuées de papillons. Je crois que ce tableau représente ce qui m’est arrivé, les connaissances et autres choses acquises durant toutes les expériences vécues en Guyane.



Hallali III : ce cri je ne le comprends pas encore complètement (il revient inchangé alors que moi je change…), mais je pense que je vais trouver en cherchant du coté des expressionnistes. En tout cas, l’hallali c’est une alerte, un signal qui annonce la mort du gibier autant que la fin de la chasse.



Méduse en tête



Assis 1



Plume en tête



Vapeur en tête

Pendant que je peignais ces tableaux, la vie a commencé à devenir un enfer : ma tête est entrée peu à peu en ébullition, une ébullition qui est (je crois) symbolisée dans cette série par les coulées abstraites de peintures métalliques.

Pour cela la toile Vapeur en tête était vraiment représentative de mon état à la fin de cette « montée » : c’était comme si j’avais un problème électrique dans la cervelle, une résistance en train de chauffer et de me liquéfier les neurones (cette chose dorée sur la toile qui a pris la place de l’œil). A ce moment, le cannabis m’a posé d’autant plus de problèmes, puisqu’il jouait là aussi son rôle d’amplificateur, mais pour des sensations pas vraiment agréables ! A la fin de l’hiver la situation était catastrophique, j’ai quitté la métropole pour quelques temps.

J’ai passé l’été 2004 à Cayenne où beaucoup de choses se sont réglées, notamment grâce à l’aide d'une des psy du Centre de Désintoxication de Cayenne. La preuve en image :



Arbre en tête

Ce n’est que lorsque j’ai compris que mes expériences de grand bois faisaient partie de moi, lorsque je les ai intégrées à tout jamais et acceptées comme des différences à assumer que j’ai pu commencer à vraiment grandir dans ma tête. La graine chaude et dorée implantée dans ma cervelle est devenue un arbre d’argent dont les racines se sont mêlées à mes neurones jusqu’à ce qu’on ne puisse plus les en distinguer.

Alors, comment tout ceci a-t-il fonctionné ? Et bien, d’abord, la psy m’a expliqué les choses clairement : « Vous vous appelez Salaud, vous êtes homosexuel et artiste, vous avez vécu seul en forêt : vous ne croyez pas que vous êtes suffisamment différent maintenant ? ». Il fallait accepter les différences pour plus tard cultiver les similitudes (et m’accorder aux « autres », ce que je cherchais). Or, les mots ne sont que des mots, pas des actions. On peut dire qu’on va faire une chose sans pour autant la faire.
Dans mon cas, l’action d’acceptation s’est faite par cette toile. Avec Arbre en tête, j’ai accepté. Enfin je dis cela maintenant mais sur le coup les choses n’étaient pas aussi claires, j’ai simplement ressenti un immense soulagement lorsque je l’ai achevée… Mais le soulagement était d’un nouvel ordre : jusque là je ne faisais que représenter mes états (ce qui avait le mérite de me mettre face à mon image) mais sans agir sur eux ; le soulagement n’était alors pas de longue durée, puisque le problème n’était pas réglé. Or, avec cette toile, j’ai agit : cet arbre je le voulais, je l’ai fait, je l’ai regardé, je l’ai eu. Après ce tableau j’ai arrêté de peindre jusqu’à l’entrée à l’Université et je n’ai jamais repris la série appelée les toiles organiques. Je crois qu’elle me plait de s’arrêter sur une belle note.
Je suis ensuite rentré en métropole et depuis j’arrive à vivre avec mes différences, que ce soit ici ou là-bas. Et ce n’est qu’après avoir passé cette étape que j’ai pu commencer à vraiment m’intéresser aux autres.

A bientôt pour la suite...