L'art et le religieux dans ma pratique. EPISODE 6. FIN.

Dernière partie de ce devoir fort long... Ca finit assez maladroitement, mais ce sera la base d'un autre texte (encore plus long !) que je devrai sans doute rédiger cet été....
En décembre dernier, j’ai écrit la réflexion suivante sur une incitation de François Jeune : « Les mots dans la peinture ».

Le sens : voilà ce qui m’importe dans le langage et les mots. Définitivement, je crois pouvoir dire que le sens de la peinture (ou du dessin) me convient bien plus que le sens du verbe :
La langue française me pose problème dans une certaine mesure parce qu’elle fonctionne trop sur la différenciation, sur la dualité. Le bien/le mal, la vie/la mort, l’ordre/le chaos s’opposent dans notre langage et sont affublés d’une valeur, alors que le tout qu’ils composent n’a pas de nom… Est-il vraiment pertinent de séparer la vie et la mort, le bien et le mal, l’ordre et le chaos ? Pourquoi cette absence de mot pour les entités que l’un et l’autre forment ?
Si je suis méfiant du langage parlé ou écrit, c’est sans doute parce qu’il est réducteur dans le sens de ses mots. Les mots (d’aujourd’hui en tout cas) sont petits, restreints à un sens unique qui bien souvent manque d’envergure, mais surtout ils disparaissent lorsqu’il s’agit d’entrer dans le domaine qui m’intéresse, la Chose sans Nom dont personne ne veut parler, celle qui me semble être le plus puissant de tous nos tabous (ce qui explique sans doute que je crypte mes travaux : respecter un tabou verbal vaut mieux que d’être lapidé sur la place publique !).
Dans la peinture, une chose est sûre : noir + blanc = gris. Il est donc possible de réunir par la peinture deux entités que le langage commun aura tendance à opposer. Je vois là une porte d’entrée dans le fameux domaine sans Nom, et je pense qu’il s’agit là d’une des principales problématiques qui sous-tendent mon travail.


Je me suis d’abord positionné du coté des images pour m’engager sur un cheminement qu’en tant qu’athée je n’avais pu faire par la voie du religieux. Mais c’est ensuite devenu un autre dessein : celui de participer à mon humble échelle à l’équilibre entre les représentations de Vie et de Mort (celui qui est au cœur de toutes les querelles autour des images à travers les époques et les lieux), surtout dans une France postmoderne qui penche franchement du coté de la première.

Voilà enfin un autre texte imagé (de fin novembre, écrit pour mon blog) dans lequel je posais l’intuition que j’avais alors sur la façon dont cela pouvait s’envisager :

Si l'humanité était une terre, les artistes en seraient les volcans.
La création serait une irruption, les œuvres d'art un magma qui en se répandant brulerait les vieux champs et redessinerait les paysages…
Des terres modifiées et fertilisées où la végétation pourrait de nouveau s'enraciner, sans doute la même mais autrement agencée.
... Parfois même de nouveaux ilots sortiraient de l'eau.
Bref, les productions artistiques seraient autant d'irruptions de la conscience collective... Et l'art le lieu initiateur de ses mutations.
C'est un idéal sans aucun doute. J'aimerai l'approcher.


Là intervient la notion d’inconscient collectif et ses interférences avec l’Art. A ce niveau, j’ai été assez enrichi par la rencontre récente avec la peintresse Zeyno Arcan : nous avons actuellement correspondance mailistique qui m’a ouvert beaucoup de voies de réflexion… mais portant sur un tout autre point :

Pendant toute l’année dernière et à partir d’Imago, je me suis donc attelé à ranger les données et construire mes propres croyances, ma propre mythologie, mais cette fois-ci en me replaçant dans la société et le temps de la France actuelle au niveau des similitudes :
C’est l’environnement idéologique de mon enfance, cette culture de la différenciation à outrance couplée d’une spiritualité quasi-inexistante qui m’a mené à la crise identitaire que j’ai traitée par l’exil et la pratique artistique. Cette crise, qui touche malheureusement beaucoup des jeunes vivant en France aujourd’hui, est le plus français de mes fondements. Voilà comment j’ai pu commencer à me sentir français métropolitain, pour la première fois de ma vie.

J’ai alors peint mes échographies (Première page de la galerie des Echographies et 6 premières images de la deuxième page).


Et puis cet été, mon jeune et unique frère est mort dans un incendie. C’est notre ami wayana Aïku qui a géré la cérémonie de l’enterrement, et m’a aussi ouvert d’une certaine manière au monde des rêves.
Dans ce contact direct à la mort (celle d’un être cher c’est un peu la sienne sauf que l’endeuillé survit), ma nouvelle foi en cours de construction s’est avérée inefficace justement parce qu’elle n’était, à ce moment précis, qu’individuelle… On peut théoriser tout ce qu’on veut sur la mort et la représenter dans des images acidulées, mais quand on l’a en face et si on est construit sur le modèle de l’individualisme, le deuil est une véritable solitude. Une autre épreuve…
Cette deuxième année à l’Université, je l’ai passée à essayer de représenter mon frère, aidé de Messieurs Jeune et Danétis mais la douleur et la colère ont été deux véritables ennemies… Voici un petit texte écrit sur une tentative de Novembre dernier.

En novembre dernier, pendant une fraiche matinée de cours, Mr Danétis nous a demandé de faire des empreintes de ce qu'on voulait...
Ca tombait bien, je ne fais que ça. Mais pour changer, je voulais imprimer autre chose qu'un homme, une femme ou une partie de corps humain...
Après la mort de mon frère j'ai eu envie de travailler avec des cadavres. D'ailleurs, le premier cadavre avec lequel j'aurai aimé travailler c'était le sien, sans doute parce qu'il est parti à l'hôpital puis parti tout court la veille du jour où nous avions prévu de prendre son empreinte. D'ailleurs la toile coma, faite alors qu'il était encore dans le coma (d'où le nom), je l'avais préparée pour lui, mais à la base elle était prévue pour faire l'Echographie du pêcheur, avec un épervier et des petits poissons assiettes qu'on serait allés pêcher ensemble, tout ça tout ça...
La toile était à lui donc, mais comme il était dans le coma et qu'on se ressemblait quand même suffisamment pour qu'on sache qu'on était frères (surtout les yeux, merci papa merci maman !), j'ai posé à sa place pour la toile du coma.
Parce que je ne pense pas qu'on m'aurai autorisé à le couvrir de peinture sur son lit de réa avec des fils et des perfs branchés de partout... Et puis alors il était encore vivant, alors je me disais qu'une fois rétabli il pourrait me la faire, cette satanée Echographie du pêcheur ! Par contre quand il est mort ça a tout changé, mais à aucun moment je n'ai envisagé d'assouvir l'envie (pourtant intenable) de le couvrir de peinture alors qu'il était dans son cercueil, avec son épervier justement. Rien que l'idée de demander à mes parents "dites, je peux prendre son empreinte avant qu'ils ferment la boite ?!" et puis j'oubliais.
Alors quand Monsieur Danétis a demandé "Faites-moi des empreintes de ce que vous voulez, partes chercher quelque chose qui vous plait...", je me suis dit "Il faut que je trouve un pigeon mort, il faut que je trouve un pigeon mort". C'est devenu une question d'honneur pour moi de trouver cet oiseau... Et vous savez quoi, à chercher dans tous les fourrés, j'en ai trouvé un. En même temps ce n'était pas ce qu'il y de plus difficile, parce qu'à Saint Denis ce ne sont pas les pigeons qui manquent ! Alors un pigeon mort...
En tout cas, j'étais soulagé quand je l'ai trouvé et pour être franc j'étais content, et même fier à la limite. Je sais, ce n'est pas très normal, mais pour le coup c'était comme ça. Et des fois il faut savoir se contenter de peu (pourquoi des fois ?).
J'ai fait des empreintes bleues de ce pigeon partiellement décomposé sur un papier très fin. Aujourd'hui je les ai ressorties, retravaillées en bleu (les contours, comme d'habitude avec mes empreintes) et puis je les ai marouflées... Sur des toiles avec châssis s'il vous plait !
La première toile me plait bien, le marouflage a fait des plis sur le papier, ça donne un aspect ancien... Un fossile d'archéoptéryx !
Voilà, j'ai pris des empreintes d'un oiseau mort et je vais les appeler Pigeon vole !. Vous connaissez maintenant l'histoire.


Le problème a été que je ne pouvais définitivement plus le peindre ou le représenter vivant, comme je l’avais connu avant : il était trop tard. Pourtant j’ai beaucoup essayé, cherchant une idée qui serait la bonne. J’en ai eu à la pelle des idées mais pas une seule ne convenait. Pas une seule.
Alors les fils sont arrivés, en simultanée par les images topographiques (ci-dessous, une topographie de mon frère) et dans de petits dessins automatiques…



Topographie, François 5. Retouche informatique sur photographie. Décembre 2006.



Dessin automatique n°2, mine sur papier, reproduction à l’échelle 1. Janvier 2007.

Puis j’ai commencé à discuter avec Zeyno Arcan, qui m’a parlé gestion de deuil… Les fils sont devenus des liens, ils se sont insinués dans mes échographies.



Négatif échographique 2 (les liens), acrylique sur toile, 120x160 cm. Avril 2007.

Ces fils sont des liens, avec les vivants et avec les ancêtres : avec « le Tout ». Car je crois qu’en partant, mon frère est devenu le premier de mes ancêtres.
En le devenant et comme il était attaché à moi, il m’a attaché à ce qu’il est devenu : une partie infinitésimale de l’esprit de tout et de n’importe quoi : un autre homme, un animal, une pierre, le vent. Ca peut paraitre farfelu et très personnel, mais cette idée d’une forme de réincarnation globale et non sélective, infiniment grande dans son champs et en même temps infiniment petite dans ses proportions prend ses sources dans les légendes amérindiennes et aussi dans des idées scientifiques récentes : comme celle d’un univers qui serait une mise en abime de dimensions (11 avaient été identifiées par les scientifiques quand je me suis repenché sur la question en 2003) et dont le mouvement dans sa forme ressemblerait à l’image d’un beignet ; ou cet espèce d’infini qui n’est plus une question de quantité croissante ou décroissante, mais d’absence de début et de fin, avec deux phases qui fonctionneraient comme les positifs et négatifs d’une photographie.



Négatif et positif échographiques 1 (les liens), images à imprimer sur tissus. Avril 2007.

Il me semble donc que dans cette deuxième année s’est opérée une nouvelle mutation, un peu de l’ordre de celle qui s’est produite dans le bois mais en plus rapide, sans doute parce qu’à partir de là je n’étais plus seul… Son début et sa fin sont marqués par deux travaux :





Echographie natale 1, empreinte de femme enceinte faite en novembre 2006, terminée en avril 2007 par l’ajout d’une échographie imprimée sur calque et collée au stéristrip (matériel chirurgical de suture).



Topographie du changement, empreinte et acryliques sur cartes routières de France et de région parisienne. Avril 2007.



Photographie du visage et du torse de Topographie du changement travaillée sous photoshop. A imprimer sur tissus, mai 2007.

A partir de maintenant, mon envie est de continuer à travailler la peinture, continuer d’être un petit volcan de la terre humaine tout en laissant les liens se développer encore… Pour cela, je compte poursuivre mes études en Master car je manque encore cruellement de connaissances pour donner de l’appui à mes intuitions. J’ai aussi envie de partir à la recherche de ma famille artistique et de répondre aux appels de cors qui sonnent dans tous les sens : le cours de Monique Kissel sur l’Art et le Religieux n’est pas né cette année par hasard, et puis dans le travail de beaucoup des étudiants je vois la problématique du spirituel, du lien entre corps et esprit plus ou moins émergée.
Parallèlement, dans le domaine de l’art contemporain, Michal Rovner, Kiki Smith, Zeyno Arcan ou encore des musiciennes comme Björk ou les Coco-Rosie sont autant d’artistes qui appellent à la levée d’une armée de pensées dont je crois faire partie : le cheval est revenu dans mes éléments symboliques mais cette fois ce n’est plus le symbole de la liberté… Mais celui de la Guerre.


Voilà, c'est fini pour l'instant... Rendez-vous dans quelques mois, j'aurai d'ici-là écrit le nécessaire pour éclaircir un peu ce dernier morceau de mots.

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