Madeleine de Proust, plumes de chouette.

Par juliens, . Lien permanent Une vie de Jules

Ma copine AnnC et moi avons des centres d'intérêts similaires. Par exemple, alors que je suis en plein dans ma période "à plumes", elle suit des stages de fauconnerie dans le cadre d'une formation qui devrait (je l'espère très fortement) lui permettre de se reconvertir professionnellement en une sorte de Diane moderne, qu'on ne rencontrerait qu'à cheval, un rapace sur le poing... Je sais, c'est difficile à croire mais la demoiselle y arrivera, sans aucun doute.

Avant hier donc la Miss AnnC est allée quelque part loin de Paris s'occuper d'oiseaux et les faire voler. J'avoue que je suis jaloux, mais ce n'est pas ça la question : disons qu'hier en sortant de la piscine elle a sorti de son sac à dos cinq plumes, dont deux de chouette effraie. C'est très gentil, parce que les plumes sont très belles, et je suis sûr que je pourrai en faire de très jolies choses...
Je suis donc rentré chez moi, ai posé les plumes sur le bureau puis ai commencé à les sentir. Oui, parce que les oiseaux ont une odeur particulière. Depuis qu'elle est achevée, je colle régulièrement les naseaux sur les ailes de Cornélia, non pas parce qu'elle sent le cadavre - j'ai tout de même suffisamment bien travailler pour ça - mais parce qu'elle sent la corneille ; et la corneille a une odeur douce et chaude, presque comme celle d'une personne qu'on aime.

Vous vous souvenez vous ? Moi quand j'étais enfant j'étais capable de reconnaitre l'odeur de mon père et de ma mère, d'ailleurs des fois je leur piquais leur pull et ça me donnait l'impression qu'ils étaient avec moi toute la journée. Bon, ça s'est arrêter avec les humains quand j'ai commencé la clope, mais avec les animaux ça continue parce que leur odeur est plus forte. Et les plumes de chouette m'ont ramené des années en arrière : lorsqu'un jour nous avons trouvé avec mes parents une effraie fraichement tapée par une voiture sur le bord de la route et nous sommes arrêtés. La chouette était tellement belle,et son ramage tellement doux que j'avais arraché quelques plumes de son ventre (celles qui sont blanches avec un léger point noir), les rémiges étant trop bien accrochées à l'aile pour mes petits bras pas musclés. Une fois rentrés à la maison, ma grand-mère m'a filé une grosse boite bleue Niveau pour y enfermer mon butin ; une boite au couvercle hermétique au sein de laquelle l'odeur de l'animal défunt s'est développée. Pas une odeur de cadavre non plus, mais bien l'odeur chaude qui se déposait sur les plumes de l'oiseau quand il était encore vivant.

Cette boite m'a longtemps suivi, et pendant des année j'ai pu me faire un snif de temps en temps, un snif de chouette. Maintenant cette boite est très certainement définitivement perdue (je dois le vérifier une bonne fois pour toute mais je crois que c'est très mal barré !) mais alors les deux plumes d'AnnC : qu'est-ce qu'elles sentent bon l'effraie ! Je suis à la limite de chercher une grande boite hermétique pour pouvoir les y enfermer et retenir leur parfum...



En tout cas depuis hier je passe mon temps avec la plume sous le pif. Ça me rappelle mes filatures d'effraie, les investigations dans les églises de nuit pour entendre son chant énigmatique, les matins sous son arbre à Meschers pour récolter puis analyser ses pelotes de réjection, l'alignement des crânes et os des rongeurs, des passereaux qu'elle avait mangé ; les tentatives multiples de photos, de dessins et l'effet physique intense que m'ont procuré nos rares contacts visuels. Pourquoi être fasciné par une espèce d'oiseau en particulier ? Bonne question. Peut-être parce que la dame blanche a ce plumage aux couleurs délicates, parce que ses plumes son tellement bien faites que son vol est absolument silencieux ; parce qu'elles sont douces et vibrent au moindre souffle ; ou bien parce que son regard étrange en fait la Joconde des aviens...



Proust avait ses madeleines, moi j'ai des plumes d'effraie : alors merci AnnC, et surtout... Si d'autres pennes jonchent la volière... N'hésite pas à m'en ramener encore !

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