Körperwelten 4 n'est pas le titre d'un film d'auteur flamant. Pas du tout. Il s'agit de la version belge de Bodyworlds, une exposition qui tourne autour de la planète depuis quelques années déjà : je l'ai déjà loupée à New York en 2007, puis à Lyon il y a quelques temps, alors cette fois-ci je me suis fait violence pour aller voir "ça" de près.
L'exposition présente un ensemble de corps, humains pour la grande majorité, complets ou partiels, traités avec une technique inventée par le "Docteur la mort" : la plastination est une façon assez complexe de conserver des cadavres, elle consiste à remplacer les graisses et l'eau par des matières plastiques. Bien, je vous épargnerai la polémique autour de la provenance des corps présentés. Par contre il y a plusieurs choses qui me sont parues assez dérangeantes : d'abord, la nature de l'expo. S'agit-il d'un outil pédagogique permettant d'approfondir l'état de ses connaissances en termes de biologie et d'anatomie humaine, ou bien de l'exposition de travaux d'artistes ? Les deux selon Van Hagens, qui mélange joyeusement textes de vulgarisation scientifique et références artistiques... Soit. j'adhère pour la partie scientifique : Körperwelten 4 aborde le corps "en profondeur" et dans sa globalité : squelette, systèmes nerveux, respiratoire, digestif, reproducteur, développement embryonnaire, etc. De plus, la tridimentionnalité des pièces permet une appréhension que les livres d'anatomie n'offrent pas ; et puis l'échelle 1 permet de se faire une idée précise de la taille des organes, de leurs emplacements et agencements... Là dessus rien à redire : Gunther Van Hagens est un anatomiste et un embaumeur de talent, un pédagogue efficace. Ses connaissances du corps sont impressionnantes et ses techniques de conservation des chairs tout simplement géniales.
Par contre, pour ce qui est du coté artistique je serai bien moins élogieux : si l'on doit considérer les pièces de corps entier comme de véritables œuvres, alors leur niveau est bien loin de celui des techniques de plastination mises au point pour les réaliser. Quoique... En fait, c'est sur ce point que se place pour moi les plus grandes interrogations.
- D'abord, l'aspect artistique est caché derrière l'aspect pédagogique. Or, il me semble que l'art ne se résume SURTOUT PAS à un outil de vulgarisation mis au service de la Science ou de quelque autre domaine de connaissance que ce soit : ses fonctions sont bien plus larges. De plus, la technique -aussi élaborée soit elle- n'est ABSOLUMENT PAS l'unique critère à partir duquel une œuvre prend sa valeur plastique... Car embaumer les tripes des autres n'est vraiment pas suffisant, il faut savoir y mettre les siennes aussi. Façon de parler, bien entendu.
- Ensuite, le docteur Von Hagens manifeste un grand intérêt pour les premiers anatomistes de la Renaissance (dont De Vinci, servi à toutes les sauces) et tout son travail part dans ce sens, des écorchés à la séance d'autopsie vendue sur DVD. A ce sujet, une première chose est sûre : ce qui fût révolutionnaire au XVe siècle ne l'est absolument pas aujourd'hui et les travaux de l'allemand n'apportent rien de particulier sur le plan scientifique, sinon une méthode de fixation de tissus organiques originale. Sur ce point et à l'opposé des "plastinats" se trouvent par exemple les techniques d'imagerie médicale modernes : elles en apprennent vraiment sur le fonctionnement du vivant, en plus d'être un nouveau médium potentiel pour les artistes. Et puis il y a une deuxième chose qui me gène profondément : les premiers anatomistes de la Renaissance ont sans aucun doute mis au point des techniques de conservation d'écorchés comme à Florence (mais si mes sources sont bonnes il avaient tout de même une prédilection pour les reproductions en cire) et pour autant, ces hommes-là confondaient-ils le vivant et le mort comme aime à le faire Von Hagens ? Pourquoi garder les sourcils sur ses cadavres, poser des yeux de verre, laisser les tétons pour les femmes ou le bonnet de bain en plastique sur "la nageuse" ? Pourquoi présenter les écorchés avec des "positions proches du vivant" ? Et puis finalement qu'est-ce que la mort ? "Est-ce un état, comme la vie ?" ET BIEN NON, DÉFINITIVEMENT NON ET C'EST BIEN LA LE PROBLÈME : Von Hagens participe à répandre cette idée fausse et dangereuse que la mort est un état, alors que ce n'est qu'un passage de l'état de vivant à un autre état... Que nous ne connaissons plus. Et sur ce point, le docteur qui prétend proposer en même temps que ses banalités anatomiques une certaine philosophie, si ce n'est une certaine forme de spiritualité, fait de l'antipédagogie. Disons plutôt qu'il raconte de grosses bêtises, et sur la mort, et sur l'histoire de l'anatomie dans les sociétés humaines : les informations sont plutôt approximative, si ce n'est douteuses par certains aspect. Ainsi, je dirai que le docteur est sans doute aussi inculte en art qu'il est génial en tant que médecin.
- Car enfin -mais je l'ai déjà à moitié dit- les "choses" de l'exposition qui sont vraiment des œuvres dégagent une charge qui ne m'est absolument pas parue comme étant positive. Enfin de mon point de vue en tout cas. Car qu'avons-nous sous les yeux ? Des objets qui ont tout l'aspect du plastique, des corps coupés en rondelles ou en fines tranches, du cadavre figé, privé de putréfaction, segmenté, démantelé, réorganisé, désacralisé. Des exemplaires d'une belle mécanique que tout le monde tripote : certains font même mine de mordre à pleine dents dans ces anciens cadavres. Voilà une très efficace façon de passer le corps à la trappe et de prolonger la frontière qui depuis trop longtemps sépare chez nous le corps périssable de l'esprit éternel. Quant à ce qui est dit de la peau ou de l'individualité... C'est vraiment à l'extrême opposé de ce que posent aujourd'hui les philosophes de la Postmodernité. Ainsi Monsieur Van Hagens, je ne suis absolument pas d'accord avec vous : votre travail est une atteinte à la Postmodernité et au mouvement qu'elle tente de générer. Il n'en fait absolument pas partie. Vous êtes même dangereux. Vous m'avez fait peur.
Bien, voilà une réaction à chaud assez virulente, mais que tout ceci soit bien clair : même si je ne voit pas l'intérêt de faire de la pédagogie avec des cadavres, le coté éducatif n'est absolument pas remis en cause puisque Körperwelter semble efficace sur le sujet. Par contre, si Von Hagens veut être un artiste (pour de vrai) il devrait commencer par s'injecter une bonne dose d'humilité avant de se pencher en profondeur sur l'anatomie dans l'art de la Renaissance et surtout sur la teneur de ce qu'il montre aux quatre coins de la planète. Il pourrait aussi essayer de comprendre les rôles et fonctions de l'art et de l'artiste... Bref, beaucoup de travail en perspective !
Si vous voulez aller voir l'exposition, vous devrez aller aux Caves de Cureghem avant le 11 janvier (vu le succès de l'expo, on peut parier qu'elle sera prolongée) qui sont donc toutes proches... Du Marché aux bestiaux. Ça ne s'invente pas !
Ah ! Pour finir sur une note positive, merci les belges ! Tarifs réduits pour les étudiants, même étrangers, gratuit pour les enseignants, même étranger. Il faudrait que les musée de France et surtout de Paris en prennent un peu de la graine !
Enfin voici quelques photos non de l'expo mais de ses allentours - car bien entendu, aucune photo ! Interdit ! - mais je vous garantie que ce que je vous offre maintenant à voir est dans l'esprit de ce qui se voit dans Körperwelten... Alors finalement, il ne va pas bien finir ce post.
Mouettes et corbeaux sur les déchets du Marché de la viande, juste à coté de l'entrée de l'expo.
L'affiche devant le Marché de la viande.
En haut d'un des pilliers du portail du marché.
1 De Jules -
PS : Ne m'en voulez pas pour les fautes de frappe, je n'ai pas envie de relire pour l'instant.
2 De AnnC -
J'aurais pas dit mieux !