21 jours d'intensités émotionnelles contradictoires

Il y a trois semaines jour pour jour, j'étais sur le départ pour la Fabrique. Toutes les pièces prévues pour le 55ème Salon d'Art Contemporain de Montrouge étaient sur place, il ne me restait donc plus qu'à régler quelques détails pour boucler l'installation : achever les réseaux de fils qui reliaient l'Échappée belle au pentagramme du mur ainsi que l'ensemble des travaux entre eux, mettre en place les quatre socles des Animaux stellaires et dépoussiérer les cadres des Dessins automatiques.
J'avais emmené Mademoiselle Nunuwa avec moi, histoire qu'elle ne s'ennuie pas une journée entière dans l'appartement... Et puis elle semblait très fatiguée depuis quelques temps, au point de ne plus vraiment vouloir jouer, ou de ne plus être capable de monter ou descendre les escaliers qui barraient son chemin.
Elle est restée très sage tout au long de cet après-midi là, sans doute parce qu'elle commençait à lutter contre sa propre dégénérescence : elle a vomi une première fois vers 15 heures, j'ai commencé à être vraiment très inquiet.
A partir de ce moment, les vomissements se sont faits de plus en plus récurrents. Au bout de trois jours, la petite chienne était prise de spasmes violents et j'ai compris qu'ils la faisaient profondément souffrir lorsqu'elle s'est mise à gémir doucement à chaque contraction : contrairement à ce que m'a affirmé le premier vétérinaire qui l'a auscultée (sans doute un cyborg), Nunuwa n'était pas douillette, je dirai même qu'elle supportait les maux avec un "calme canin" qui m'a beaucoup impressionné.

Nunuwa a passé le mardi et le mercredi suivants sous perfusion, dans une clinique vétérinaire ; le même mercredi, j'étais à la Fabrique pour le "vernissage professionnel" du 55ème Salon de Montrouge dès 14 heures. A 14h30, un collectionneur m'achetait tous les Dessins automatiques de l'installation, puis, d'autres personnes sont venues prendre rendez-vous pour voir ceux qui n'étaient pas exposés. A 19h30, alors que le web' ramenait notre chienne à la maison sans qu'un diagnostique ait pu être émis par le deuxième vétérinaire, j'apprenais que j'étais lauréat du Prix du Conseil Général des Hauts-de-Seine. On m'a donné une grosse médaille et j'ai récupéré un catalogue avec, dedans, la brochure présentant mon travail et le texte perspicace de Gaël Charbau.
On m'a aussi expliqué qu'il me faudrait bientôt préparer deux expositions : une pour les modules du Palais de Tokyo en novembre 2010, une pour la Jeune Création Européenne au Printemps 2011. A ce moment-là encore, l'accumulation de ces formidables nouvelles compensait l'angoisse générée par l'état de santé dégénératif de ma chienne, et l'incapacité des vétérinaires à identifier l'origine de ses maux.





Seize jours, six consultations et quatre vétérinaires après le premier vomi, Mademoiselle Nunuwa était devenue squelettique et ses yeux sentaient la douleur de jour comme de nuit. Il y a tout de même eu un lundi de répits, journée durant laquelle nous avons pu faire un énorme câlin sur le canapé. Ce fût le dernier, car ensuite il était impossible de toucher la chienne sans que le contact ne génère une crise de spasmes, de vomissements et de douleurs.
Pendant tout ce temps, j'ai vendu beaucoup d'œuvres et même enregistré une commande. J'ai aussi été contacté par Beaux Arts Magazine qui souhaitait avoir des images de mon travail. Mais déjà ces bonnes nouvelles ne suffisaient plus à calmer la peur de perdre les liens qui s'était mis en place entre la demoiselle et moi.

Le dernier week-end a été une véritable horreur, et ce malgré les médicaments et les piqûres. Je l'ai dessinée comme le Lamantin moisi en espérant que ce soit plutôt une Nunuwa rêvant.



Lundi et mardi de cette semaine, la petite bête a subit toute une batterie d'examens qui ont permis de rejeter une à une les hypothèses de maladies qui auraient pu être traitées. Pendant ce temps, je trouvais une maison à Orléans avec un grand jardin pour que Nunuwa puisse gambader, et un atelier pour que j'ai enfin la place de travailler : encore la concrétisation d'un rêve qui trainait depuis quelques mois.
Nous avons récupéré ce qu'il restait de notre chienne avant-hier soir en apprenant qu'à la gastrite s'était ajouté une méningite. Le web' et moi avons aussi compris qu'il ne restait que peu d'espoir quant à sa survie : soit elle avait un virus au cerveau, soit une malformation neurologique congénitale. Nunuwa a passé la nuit dans le lit de ses maîtres, une nuit relativement calme grâce à l'injection d'un produit ENFIN efficace (merci au cinquième vétérinaire).



Hier, nous avons attendu les résultats de "l'analyse de la dernière chance". A 17h30, après une après-midi chaotique, le vétérinaire nous apprenait qu'il n'y avait pas de virus, ni aucun moyen de soigner l'anomalie : son état empirerait jusqu'à la paralysie et la mort. Pour éviter cet immonde programme et abréger ses souffrances, le web' et moi avons demandé à ce que Nunuwa soit euthanasiée. Elle est morte dans nos bras peu avant 18 heures.
Ce même jour, j'ai appris que Beaux Arts Magazine avait choisi la Constellation de la chevrette pour faire la couverture de son prochain numéro. Pourtant, je suis triste et ça durera certainement quelques temps. Je suis aussi soulagé que l'animal qui m'a rappelé la possibilité d'un amour et d'un pardon inconditionnels ne souffre plus. Je suis enfin heureux, tout au fond, de toutes les bonnes choses qui se déroulent sur le plan artistique, mais ça ne se verra sans doute pas avant que le chagrin ne soit passé. En tout cas, cette concordance de sentiments antagonistes très intenses est particulièrement déstabilisante.

Bonne nuit ma belle Nunuwa, repose en paix.

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