Mais l'illusion scientifique n'est que le premier des quelques pièges
qu'Ivana tend à ceux qui abordent ses œuvres... Comment définir le
Banquet version 2010 ?
Décrivons d'abord cette pièce. Un socle noir porte une vitrine de verre, à
l'intérieur de laquelle évoluent des larves de criquets pèlerins. Ces larves se
nourrissent de morceaux de légumes frais fixés sur un rectangle de mousse, de
ceux qu'utilisent les fleuristes pour créer leurs compositions...
Ci-dessus, le Banquet, version 2007, avec fleurs et grillons.
Indéniablement, ce garde-manger est un travail d'ornementation, processus de
création que l'on retrouve dans les paillettes de l'Observatoire
à souris (2007). Animal + Ornement = ouverture vers le Sacré ? Sommes-nous
alors face à un Memento mori, ou bien à quelque insolite renvoi vers
la triade d'Élisabeth de Fontenay ?
Je pense que la première hypothèse est un piège. Comme quelques autres
visiteurs apparemment, j'ai présumé en voyant criquets et légumes pour la
première fois qu'Ivana laisserait moisir les premiers sans penser un seul
instant que, dans ce cas, les seconds mourraient de faim. Or, la jeune femme
n'est pas dans la morbidité : sa sculpture végétale évolue depuis le début du
Salon et garde toute sa fraicheur ; il en va de même pour les larves dont
certaines sont aujourd'hui devenues adultes. Quant aux chenilles de vers à
soie, on peut dire qu'elles ont bien grossi ! Malheureusement, seuls ceux qui
seront passés régulièrement au Salon auront pu le remarquer.
De ce fait, il me semble que réduire le Banquet à une simple
installation peut dangereusement biaiser la compréhension de l'œuvre, car nous
risquerions alors de considérer comme éloge de la mort une pièce profondément
tournée vers le vivant. Ne la dissocions donc pas de la dimension performative
que revêt l'entretien quotidien du Banquet par celle qui l'a créée,
car nous sommes là bien loin d'une Biopoetry d'Eduardo Kac : l'écosystème est
certes fermé, mais consciencieusement nourri de l'extérieur.
Le Banquet nous offrirait donc une version de la triade sacrée évoquée
par la philosophe française tout au long de son ouvrage phare ? C'est fort
probable. Premier indice : Le silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve
de l'animalité fait partie de la bibliothèque d'Ivana. Deuxième indice :
l'objectif de l'artiste pour ses criquets, est de "faire recouvrer à cette espèce,
domestiquée et exploitée par l’homme depuis des milliers d’années, une
certaine forme de sauvagerie." Or, la sensibilité dont elle fait
preuve à l'égard de ses animaux laisse à penser que l'argentine pense le
sauvage et le domestique par le biais d'un grand oublié de la pensée animale
actuelle : le familier.
Aussi, en plus de m'avoir offert une bouffée de vie animale et de douceur
féminine fort agréable dans la morbidité ambiante (C'est la Vie ! et
Crimes et châtiments m'ont décidément traumatisé !), Ivana Adaime
Makac va me fournir matière à doctorat.
Pour ceci et pour cela, merci Mademoiselle !
Les belles choses du 55ème Salon d'Art Contemporain de Montrouge : Ivana Adaime Makac
Depuis le début du 55ème Salon d'Art Contemporain de Montrouge, Ivana Adaime Makac passe chaque
jour à la Fabrique s'occuper des larves présentes sur les deux installations de
son module : criquets pèlerins pour l'une, vers à soie pour l'autre.
Afin qu'ils ne meurent pas des températures anormalement hivernales des
premières nuits de mai, l'artiste entomophile est même passée déposer ses
insectes chaque matin pour les récupérer chaque soir pendant quelques temps
!
Plus encore que la rigueur avec laquelle Ivana prodigue les soins nécessaires au bien-être de ses protégés, l'attention teintée d'amour qu'elle leur porte me semble être un acte artistique particulièrement lourd de sens... Et, en tout premier lieu, il est absolument nécessaire de ne pas se laisser berner par l'ambiance de laboratoire aseptisé fortement dégagée par les œuvres de l'argentine : ni mécanistes, ni anatomistes, encore moins invasifs ou consommateurs de la matière vivante, ses protocoles sont exactement à l'inverse de ceux en rigueur dans les laboratoires pharmaceutiques ou les centres de recherches en cosmétique tant décriés par ceux qui revendiquent l'accès au droit des bêtes. Aussi, si Ivana Adaime Makac entremêle sciences et arts dans ses travaux, elle ne partage avec les premières disciplines qu'une approche naturaliste et expérimentale ; et pour analyser la pertinence de sa création artistique, il faut avant tout avoir la malice de ne pas confondre laboratoire et charnier animal...
1 De Elisa -
Il faut décidément vraiment que je passe à ce salon ^^
Je me doute que tu as du zapper mister, et je ne te blâme pas, je sais ce que c'est de penser à mille trucs en même temps, mais quand tu auras le temps, si tu peux, réponds à mon ti mail stp ;-)
2 De Jules -
Elisa : il faut dire que je suis un pro de la zapette sans téléviseur : mes amis m'appelleraient "tête de linotte" s'ils s'y connaissaient en oiseaux. Mais ce n'est pas le cas, aucun ne connait la linotte mélodieuse...
bref, je n'ai qu'à moitié oublié ton mail car cette fin de Printemps annonciatrice de migration est très chargée !
En outre, se parler en direct est bien plus pratique que de discuter par mail interposé. je serai au Salon mercredi soir lors du finissage. Viens-y, et on se verra ?
3 De Marie -
En toute simplicité, ce que tu appelles œuvre vivante m'apparaît expérimentation. Je perçois mal la créativité mais bien sûr si tu y trouves matière(s) pour ton doctorat je ne demande qu'à comprendre ... :-)
4 De Jules -
Marie : zut ! Ce n'est pas clair ? De toute façon j'affinerai l'analyse de la démarche d'Ivana pour mon doctorat et tu y auras accès en temps que première relectrice, héhé !