Les belles choses du 55ème Salon d'Art Contemporain de Montrouge : Ivana Adaime Makac

Depuis le début du 55ème Salon d'Art Contemporain de Montrouge, Ivana Adaime Makac passe chaque jour à la Fabrique s'occuper des larves présentes sur les deux installations de son module : criquets pèlerins pour l'une, vers à soie pour l'autre.



Afin qu'ils ne meurent pas des températures anormalement hivernales des premières nuits de mai, l'artiste entomophile est même passée déposer ses insectes chaque matin pour les récupérer chaque soir pendant quelques temps !

Plus encore que la rigueur avec laquelle Ivana prodigue les soins nécessaires au bien-être de ses protégés, l'attention teintée d'amour qu'elle leur porte me semble être un acte artistique particulièrement lourd de sens... Et, en tout premier lieu, il est absolument nécessaire de ne pas se laisser berner par l'ambiance de laboratoire aseptisé fortement dégagée par les œuvres de l'argentine : ni mécanistes, ni anatomistes, encore moins invasifs ou consommateurs de la matière vivante, ses protocoles sont exactement à l'inverse de ceux en rigueur dans les laboratoires pharmaceutiques ou les centres de recherches en cosmétique tant décriés par ceux qui revendiquent l'accès au droit des bêtes. Aussi, si Ivana Adaime Makac entremêle sciences et arts dans ses travaux, elle ne partage avec les premières disciplines qu'une approche naturaliste et expérimentale ; et pour analyser la pertinence de sa création artistique, il faut avant tout avoir la malice de ne pas confondre laboratoire et charnier animal...

Mais l'illusion scientifique n'est que le premier des quelques pièges qu'Ivana tend à ceux qui abordent ses œuvres... Comment définir le Banquet  version 2010 ?
Décrivons d'abord cette pièce. Un socle noir porte une vitrine de verre, à l'intérieur de laquelle évoluent des larves de criquets pèlerins. Ces larves se nourrissent de morceaux de légumes frais fixés sur un rectangle de mousse, de ceux qu'utilisent les fleuristes pour créer leurs compositions...


Ci-dessus, le Banquet, version 2007, avec fleurs et grillons.

Indéniablement, ce garde-manger est un travail d'ornementation, processus de création que l'on retrouve dans les paillettes de l'Observatoire à souris (2007). Animal + Ornement = ouverture vers le Sacré ? Sommes-nous alors face à un Memento mori, ou bien à quelque insolite renvoi vers la triade d'Élisabeth de Fontenay ?
Je pense que la première hypothèse est un piège. Comme quelques autres visiteurs apparemment, j'ai présumé en voyant criquets et légumes pour la première fois qu'Ivana laisserait moisir les premiers sans penser un seul instant que, dans ce cas, les seconds mourraient de faim. Or, la jeune femme n'est pas dans la morbidité : sa sculpture végétale évolue depuis le début du Salon et garde toute sa fraicheur ; il en va de même pour les larves dont certaines sont aujourd'hui devenues adultes. Quant aux chenilles de vers à soie, on peut dire qu'elles ont bien grossi ! Malheureusement, seuls ceux qui seront passés régulièrement au Salon auront pu le remarquer.
De ce fait, il me semble que réduire le Banquet à une simple installation peut dangereusement biaiser la compréhension de l'œuvre, car nous risquerions alors de considérer comme éloge de la mort une pièce profondément tournée vers le vivant. Ne la dissocions donc pas de la dimension performative que revêt l'entretien quotidien du Banquet par celle qui l'a créée, car nous sommes là bien loin d'une Biopoetry d'Eduardo Kac : l'écosystème est certes fermé, mais consciencieusement nourri de l'extérieur.
Le Banquet nous offrirait donc une version de la triade sacrée évoquée par la philosophe française tout au long de son ouvrage phare ? C'est fort probable. Premier indice : Le silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de l'animalité fait partie de la bibliothèque d'Ivana. Deuxième indice : l'objectif de l'artiste pour ses criquets, est de "faire recouvrer à cette espèce, domes­ti­quée et exploi­tée par l’homme depuis des mil­liers d’années, une cer­taine forme de sauvagerie." Or, la sensibilité dont elle fait preuve  à l'égard de ses animaux laisse à penser que l'argentine pense le sauvage et le domestique par le biais d'un grand oublié de la pensée animale actuelle : le familier.
Aussi, en plus de m'avoir offert une bouffée de vie animale et de douceur féminine fort agréable dans la morbidité ambiante (C'est la Vie ! et Crimes et châtiments m'ont décidément traumatisé !), Ivana Adaime Makac va me fournir matière à doctorat.
Pour ceci et pour cela, merci Mademoiselle !

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