Un brodeur sachant broder doit savoir broder sans sa chienne décapitée, pièce achevée

La broderie est vraiment une activité agréable... Et puis, cette première tentative ayant abouti à un résultat qui me convient, j'ai décidé de continuer à coudre sur une autre image. Il y a donc un début de série



La photographie entamée avant-hier soir est bien différente de celle-ci. Il s'agit de l'image d'un coq de roche vivant paisiblement en pleine forêt, alors que ce portrait de Nunuwa est chargé d'une histoire de dissection anatomique pleine de sang.

Comme je l'avais expliqué, la petite chienne a été euthanasiée à cause d'une maladie foudroyante qui l'a emportée en quelques semaines. L'hypothèse la plus plausible était une malformation neurologique congénitale. Cependant, étant donnée que Nunuwa avait suivi ses maîtres en Guyane pour les fêtes de fin d'année, les vétérinaires avaient une "léger soupçon" de zoonose. Or, si la chienne avait véritablement été atteinte par une telle maladie, nous nous serions trouvés face à un problème de santé publique dont les conséquences aurait pu être désastreuses pour les humains comme pour les animaux...
Le soupçon était donc "léger", mais les enjeux considérables. Aussi, alors que nous demandions à récupérer le corps de notre chienne après la piqûre, le vétérinaire nous a expliqué avec ce qui me semble être un profond manque de tact : "Je vais être direct : à cause du risque de zoonose, nous allons devoir lui couper la tête pour qu'elle soit examinée à Pasteur au plus vite. Vous voulez le reste quand même ?" Nunuwa n'était pas morte depuis dix minutes qu'ils l'avaient déjà emmenée dans la salle d'à coté... "Non, vous ne pourrez pas récupérer la tête".
Les analyses devaient être faites en urgences. "Si le test est positif vous serez très rapidement contactés, et il faudra traiter très vite tous ceux qui l'ont croisée pendant sa maladie car ils serainet en danger de mort. Mais si vous n'avez pas de réponse après deux semaines, c'est que le doute a été levé". Après l'annonce d'une telle catastrophe, j'aurai vraiment été soulagé de connaitre les résultats au plus tôt. Or il m'aura fallu batailler plus de deux semaines après l'échéance pour apprendre, enfin, que Nunuwa n'avait pas contracté la rage en Guyane.
Cette histoire sordide m'a posé et me pose encore quelques problèmes de taille. D'abord, le "léger soupçon" des vétérinaires a couté la tête d'un être auquel j'étais particulièrement attaché, et du coup je ne pourrai pas l'enterrer correctement. Voilà le pourquoi de cette image brodée. J'ai choisi une image de Nunuwa vivante, en plein bonheur, pour travailler sur sa tête disparue.





Réflexion conséquente de ce souci d'ordre personnel : il semble qu'aujourd'hui, même les animaux familiers échappent aux droits dont jouissent leurs maîtres. S'il s'était agit d'un humain, j'ose espérer que le discours n'aurait pas été aussi cru - voire cruel -, que la tête aurait été rendue à ceux qui pleuraient leur mort, et qu'on ne les aurait pas laissés dans le doute affreux d'une épidémie mortifère pendant plus de deux semaines. Beaucoup de philosophes contemporains nous mettent en garde concernant les différences de traitement d'un individu selon qu'il est humain ou animal : ces différences sont caduques, et ce qui arrive aux animaux peut potentiellement arriver aux hommes ; les camps de concentrations en ont été l'exemple le plus traumatisant. Ce qui m'effraie donc dans cette affaire, c'est qu'elle laisse entrevoir un véritable désastre : que nous puissions en arriver à ne plus respecter les restes de nos morts jusque dans notre espèce ou nos propres familles.

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